2.4.8. L’actualité culturelle : les fumetti, les bandes dessinées
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Lisez Manara sur le Caravage : c’est une belle BD !   Une nouvelle Bande Dessinée de Milo Manara vient d’être traduite en français par les Éditions Glénat (Le Caravage, La palette et l’épée, 2015, 14,95€.). Manara a déjà publié plusieurs de ses BD chez Glénat, dont les 4 volumes des Borgia, et plus d’une dizaine d’autres. C’est une belle et instructive histoire de Michelangelo Merisi, originaire de Caravaggio, et appelé ainsi dans l’histoire de l’art. La BD de Manara n’est pas simplement une « biographie » du Caravage, on n’y trouve que 3 dates citées : celle de son arrivée à Rome « à la fin de l’été 1592 », au début de la première page, celle de sa naissance en 1571, évoquée dans la discussion avec Lanzi quand il lui sauve « la vie et la bourse » et que celui-ci lui dit qu’il a perdu une jambe à la bataille de Lépante, et à la dernière page de la BD, « l’an de grâce 1606 » quand le Caravage doit fuir Rome après avoir tué en duel son ennemi Ranuccio Tomassoni. Le cadre historique est donc présent, de même que la ville de Rome en cette fin du XVIe et au début du XVIIe siècles, une ville qui sort à peine de la ruine et dont on prend conscience de la réalité à travers sa prison (Tor di Nona, inspirée des Varie vedute di Roma de Giovanni Battista Piranesi, et surtout de ses Prisons imaginaires, les Carceri d’invenzione, dont Umberto Eco s’était déjà inspiré dans sa description de la  bibliothèque du Nom de la rose), ses portes, ses places, ses palais (le palais Madama du cardinal Del Monte), une ville encore entre les restes de l’Antiquité et la splendeur de la ville pontificale, toute différente  de celle que l’on visite aujourd’hui. Les références à l’histoire officielle sont aussi là, la bataille de Lépante, grande victoire des pays chrétiens sur la flotte turque, la condamnation de Giordano Bruno au bûcher par l’Inquisition en 1600, la décapitation par la justice romaine de Beatrice Cenci en 1599 : agressée par un père violent et incestueux, elle participe à son assassinat avec 3 autres membres de sa famille, et elle devient le symbole de la résistance à la violence et aux abus de pouvoir de l’aristocratie catholique romaine (après sa mort, c’est le pape qui obtiendra la possession des biens de la famille ! Parmi les œuvres qu’elle a inspirées, on peut lire avec plaisir les Chroniques italiennes de Stendhal). On rencontre aussi un castrat espagnol célèbre, Pedro Montoya, chanteur et luthiste au service du cardinal Francesco Del Monte, qui fut le protecteur du Caravage, et que peut-être ce dernier utilisa comme modèle pour deux de ses tableaux de 1596 et 1597 ;et sur la table du flûtiste, on peut reconnaître les partitions du madrigaliste Jacques Arcadelt, qui travailla à Rome de 1537 à 1544 auprès de la famille Farnese. À côté du cardinal Del Monte et de quelques autres notables de Rome, dont le peintre mondain dit « Le Chevalier d’Arpino », on trouve surtout le milieu populaire romain, dans le quartier de l’Ortaccio, ses bars, ses divertissements, et surtout ses prostituées qui étaient un des milieux préférés du Caravage, comme cette Annuccia Bianchini dont le cadavre lui servira à peindre La Mort de la Vierge (les historiens nous apprennent que la ville pontificale était celle qui avait le plus grand pourcentage de prostituées !) Et on trouve enfin la reproduction des grandes œuvres romaines du Caravage, dont ses trois grandes toiles, qui sont encore aujourd’hui à Saint Louis des Français, sur la vie et le martyre de saint Matthieu. Mais la BD de Manara est beaucoup plus qu’une simple biographie, car Manara s’est identifié profondément à la personnalité du Caravage, et il la fait revivre de façon intense, certes dans l’époque où il a vécu, mais aussi dans les personnages et les  épisodes que son imagination de dessinateur lui suggère. On ne sait souvent pas grand chose de la biographie du Caravage, et Manara est contraint de romancer et d’inventer, et il le fait de façon qui ressuscite pour nous la vie du peintre. Comme dit Claudio Strinati (ancien surintendant des Musées romains de 1991 à 2009), l’historien de l’art qui écrit la préface de la BD, « on retrouve chez Manara la personnalité puissante et débordante de vitalité que laissent deviner ses biographes, mais son Caravage à lui est en plus doué d’une vie propre, dont la vérité découle de l’évidence des œuvres que ce grand peintre a produites. C’est un peu comme si Manara, devenu lui-même contemporain du Caravage, avait voulu nous offrir les puissantes évocations qu’il aurait pu capter à ses côtés et nous les restituait, grâce à son incroyable narration graphique. Un  peu comme s’il partageait avec son lointain confrère la même capacité à connecter le passé et le présent ». Caractère violent, ne supportant pas l’injustice et l’exploitation des faibles et des femmes, le Caravage est une belle illustration d’une époque qui ne connaissait pas les « droits de l’homme », où l’offensé « règlait ses comptes » lui-même à l’épée, comme Caravage le fait en tuant en duel l’odieux Ranuccio Tommasoni, ce qui l’oblige à quitter Rome, et nous fait attendre impatiemment le second volume de Manara. Il est en même temps tourmenté par quelque chose que l’on ne connaît pas, comme le poids en lui d’une espèce vivante aussi terrible et imprévisible que l’espèce humaine ; une référence à l’Aminta du Tasse (p. 41) ouvre une hypothèse : peut-être que sa violence n’était que l’envers d’une utopie, d’une aspiration à un monde sans « péché », sans violence, mais fait d’amour entre les êtres. Dominique Fernandez n’aimera sans doute pas cette œuvre de Manara. Il est l’auteur d’un roman de qualité sur le Caravage (La course à l’abîme, Grasset, 2003) mais où il est obsédé par son homosexualité et sa marginalité. Manara met bien en valeur le caractère marginal du Caravage, son refus de la classe dominante cléricale romaine et de ses valeurs, mais il ne fait pas la moindre allusion à son homosexualité, qui est chez Fernandez la clé de son génie. Caravage aime les femmes, et les nus de Manara sont nombreux et beaux ; une des premières extases esthétiques du Caravage qu’il décrit, c’est la perfection des fesses d’Anna que Ranuccio l’invite à frapper : « Splendide et quelle lumière parfaite ». Même la relation avec Mario Minniti, le jeune peintre qui l’invite au logis d’Antiveduto Grammatica, ne présente chez Manara aucune ambiguïté. Lisez la BD de Manara, c’est un belle explication de la façon dont le Caravage a peint, de la révolution qu’il réalisa dans l’histoire d’une peinture qui devient « baroque », et c’est une belle histoire que l’on lit d’un bout à l’autre avec passion et qui nous fait plonger dans la Rome du XVIe siècle. J.G., 11 juin 2015
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