Le pouvoir du chant, Petit tour en chanson des régions d’Italie, de 1968 à 2018
Accueil Actualités italiennes Nature Histoire Sructures Langue Création de formes artistiques Creation de culture materielle Chanson Voyages Contacts
Jean Guichard Le pouvoir du chant Petit tour en chanson des régions d’Italie, de 1968 à 2018 Accéder directement aux chapitres Prologue : unité nationale et diversité régionale de l’Italie J’aurais pu l’appeler Dictionnaire amoureux ou Dictionnaire pour les nuls de la chanson en Italie. « Nuls », les Français, dans le domaine de la chanson en Italie ? Dans une large mesure, et ce n’est pas entièrement de leur faute : ils ne sont que les victimes d’une société qui ne leur parle que de ce qu’ils connaissent un peu mieux, parce que cela se vend bien, victimes de médias d’une société dominée par quelques grandes entreprises qui ne connaissent pas et donc ne vendent pas cette chanson ; et l’Italie a aussi quelque responsabilité dans cette absence de diffusion de sa chanson. Et pourtant, qu’est-ce qu’elle est intéressante, cette chanson non pas « italienne » mais « en Italie », parce qu’elle est en langue italienne mais aussi dans chacun des dialectes de ce pays. C’est pourquoi nous avons appelé ce livre « Petit tour en chanson des régions d’Italie » ! Et qu’est-ce qu’elle a été influencée par la meilleure chanson française ! Et qu’elle est digne d’être écoutée et aimée ! Il faut ajouter que de nombreux groupes et chanteurs, souvent de qualité, ne retiennent pas l’attention des maisons de disques, par incompétence ou par souci de rentabilité, et ne sont donc jamais enregistrés, malgré leur valeur. Comme dit Ligabue, «  Disons-le franchement, - ce n’est pas que les maisons de disques soient pleines d’aigles en mesure de comprendre au vol si un chanteur vaut quelque chose ou non. (…) Rien qu’à Reggio Emilia il y a plus de cent groupes rock « officiels » dont au moins trente de très bon niveau  : mais personne ne va les écouter. Et s’ils n’arrêtent pas de faire de la musique, c’est seulement parce que la passion est plus forte que toute contrariété  » (L’Espresso, 20 octobre 1991). Malgré ces limites, nous avons choisi de décrire l’évolution de la chanson, région par région. Ce sera donc la suite de l’ouvrage que nous avons publié en 2019, La chanson en Italie, des origines populaires aux lendemains de 1968, Presses Universitaires de Provence, Aix-Marseille. * *     * Parler de la chanson région par région en Italie, est-ce céder à un esprit de clocher, un « campanilisme » compulsif et rétrograde ? Non c’est simplement reconnaître la réalité d’aujourd’hui, à savoir que l’Italie est à la fois une unité nationale et linguistique et une diversité régionale et dialectale. Il n’y a pas UNE Italie, mais DES Italies. Pensons à une image : comme les catholiques croient en UN Dieu unique en TROIS personnes, on pourrait dire que l’Italie est UNE nation en VINGT régions. L’Italie dispose à la fois d’UNE identité nationale et de PLUSIEURS identités régionales, qui sont ses veines et son sang. La constitution de 1948 définit l’Italie comme « une République une et indivisible » qui « reconnaît et favorise les autonomies locales ; elle réalise dans les services qui dépendent de l’État la plus large décentralisation administrative ; elle adapte les principes et les méthodes de sa législation aux exigences de l’autonomie et de la décentralisation » (article 5 des Principes fondamentaux). Cette autonomie se réalise peu à peu depuis 1945 ; en 1963, le Molise est déclaré indépendant des Abruzzes (on devrait dire maintenant l’Abruzze et non plus les Abruzzes) ; peu à peu, 5 régions ont été reconnues «  autonomes ». Les régions sont inégales en nombre d’habitants (de plus de 10 millions en Lombardie à un peu plus de 126.000 en Val d’Aoste) et en richesse économique (le PIL – Produit Intérieur Brut – va de 41.000 euros dans le Trentin-Haut Adige à 16.000 en Calabre) ; d’autres régions vont marcher vers l’autonomie, et d’abord la Lombardie et la Vénétie. Surtout cela est le produit de l’histoire : avant la conquête par les Romains, le territoire italien était occupé par une grande diversité de peuples ayant chacun sa langue, son mode de vie, ses traditions, ses légendes ; l’imposition de la langue latine créa dans chaque région une contamination différente avec la langue d’origine, ce qui fait que l’Italie connaît encore une grande diversité de « dialectes », de patrimoines culturels, et donc aussi de chansons ; le même fait vaut pour le reste de l’Empire romain qui connaît une grande diversification des langues que l’on appelle « romanes » ; la France a fait une révolution très jacobine et centralisatrice, et sa langue a une autre histoire. Malgré l’affaiblissement des dialectes, cela est encore vrai, et justifie l’étude de la chanson en Italie par région : on doit constater qu’il n’y a pas une seule culture « nationale-populaire », mais que d’une part celle-ci se présente de façon différente dans chaque région et que d’autre part elle est doublée d’une culture populaire propre à la vie et à la langue de chaque région ; tous les Italiens sont en ce sens bilingues et héritiers de plusieurs cultures et patrimoines. Un seul exemple : le rock ne se présente pas de la même façon en Lombardie, en Émilie-Romagne, dans les Marches, à Rome ou dans le Sud du pays. Et on peut se demander si le Festival de Sanremo n’a pas complètement raté la création d’une véritable chanson «  nationale-populaire » italienne tout en restant représentatif de l’Italie dominante (Voir le bel ouvrage de Serena Facci et Paolo Soddu, Il Festival di Sanremo - Parole e suoni raccontano la nazione, Roma, Carocci, 2011). Cela nous permet de commencer aussi par le commencement : partir de la chanson populaire traditionnelle paysanne et dialectale, évidemment régionale, autre nouveauté de cet ouvrage. Voilà la problématique de ce texte, décrire la chanson par région en partant de sa chanson traditionnelle jusqu’à sa réalité d’aujourd’hui, en insistant sur les cantautori et cantautrici (auteurs-compositeurs-interprètes, voir plus loin) et sur les groupes musicaux, en ne faisant que citer les principaux chanteurs et chanteuses de valeur, et en écartant le rap qui fera l’objet d’autres textes (voir sur ce site notre Petite histoire du rap en Italie et le chapitre 22 de Vingt-deux portraits d’une autre Italie). Il n’est donc pas question d’un retour nostalgique au passé ; nous savons que le monde a changé et que la base paysanne de la culture populaire s’est considérablement rétrécie en Italie, comme partout dans l’Europe technologique du XXIe siècle. Mais d’une part cette base existe encore fortement en particulier dans le Sud, d’autre part cette culture est vivante en ce sens que de nombreux poètes, chanteurs et groupes musicaux populaires continuent de s’en inspirer et se proposent d’exprimer la réalité contemporaine avec des formes musicales, des textes, des instruments, une langue locale qui est toujours leur langue « maternelle » dans laquelle ils disent leur vie quotidienne, leurs sentiments, leurs passions, leurs souffrances. Il ne s’agit ni d’un particularisme passéiste, ni d’une attitude réactionnaire analogue à celle d’un mouvement comme la Ligue autrefois « du Nord ». Et cela nous permettra de mieux apprécier la spécificité et la grande créativité de l’Italie dans son ensemble. Ce ne sera pas complet, car la richesse est grande et les évolutions rapides, mais en tout cas ce sera plus à jour pour le passé et pour le présent que la plupart des ouvrages publiés, même en Italie. Nous sommes allés du nord au sud, en commençant par le Val d’Aoste. Les « cantautori » Nous avons évoqué dans notre livre précédemment cité l’apparition des cantautori comme le genre le plus nouveau de la chanson à partir des années 1960, aidé par le soutien financier de Nanni Ricordi et de Franco  Crepax. On appela cantante-autore = «  cantautore  » celui qui interprétait les chansons dont il écrivait lui- même le texte et/ou la musique («  auteur-compositeur-interprète ») : pour Nanni Ricordi, c’est « et » (paroles et musique) ; le Dizionario etimologico della lingua italiana de Manlio Cortelazzo et Paolo Zolli (Zanichelli, 1979) dit, de façon plus large : « par le chanteur écrites ou composées » ; on peut ainsi y intégrer Lucio Battisti, dont tous les premiers textes sauf un furent écrits par Mogol, tandis qu’il écrivait la musique et interprétait les chansons, et Piero Ciampi, qui écrivait les textes et interprétait les chansons, mais dont la musique était écrite par ses amis Gianfranco Reverberi ou Gianni Marchetti, ou encore les couples Giorgio Gaber et Umberto Simonetta ou Sandro Luporini à partir de 1969, ou Franco Battiato et Manlio Sgalambro, Umberto Bindi et Giorgio Calabrese. On parla parfois aussi de « bandautore », ce chanteur qui écrivait pour une formation musicale ou était interprété par elle, et on créa même l’expression amusante de «  santautore », pour le cantautore (rare) auteur de chants à thème religieux. Enfin on utilisa l’expression « canzone d’autore  », inventée par Enrico De Angelis en 1969 (Voir photo ci-dessous) (. Toutes les chansons ont un « auteur », et on oublia souvent de parler d’auteurs de chansons qui étaient déjà auteurs-compositeurs- interprètes, avaient déjà dépassé le trio qui réunissait le « parolier », le compositeur et l’interprète : nous avons évoqué dans notre livre les Napolitains Armando Gill, E.A. Mario, Gennaro Pasquariello, le Napolitain et Milanais Rodolfo De Angelis, ou le Florentin Odoardo Spadaro. Gill disait de certaines de ses chansons : « Écrite par Armando, composée par Gill, interprétée par Armando Gill ». Mais cet « oubli » veut dire que le terme de cantautore évoquait non seulement une réalité formelle, déjà existante en fait un demi-siècle plus tôt, mais une étape nouvelle ouverte dans l’histoire de la chanson et dans le contenu des chansons. Nous avons montré ce que représenta un chanteur comme Gino Paoli, une rupture avec la rhétorique répétitive de la chansonnette de Sanremo, avec le type de présence scénique du chanteur, avec sa conception de la vie qui impliquait une volonté de ne chanter que ce qui était sa vie, ses sentiments, ses passions. Mais c’est l’expression « canzone d’autore » qui définira encore le mieux ce genre nouveau, où ce n’est pas la synthèse totale entre auteur, compositeur et interprète qui est la caractéristique la plus importante. Même Ma mi, chantée par Ornella Vanoni en 1959, écrite et mise en musique par Giorgio Strehler et Fiorenzo Carpi est généralement classée comme « chanson d’auteur », (et massacrée par la censure). Mais Vecchio frack, qui est de 1954, écrite et chantée par Domenico Modugno, est encore classée comme « pop », et pas encore comme « chanson d’auteur ». Auschwitz (1966) et Dio è morto  (1967) de Francesco Guccini, sont indiqués comme « beat » ; Vorrei la pelle nera de Nino Ferrer comme « soul » en 1967. Mais La lontananza, de Enrica Bonaccorti et Domenico Modugno est classée parmi les « chansons d’auteur », bien qu’elle ait 2 auteurs ; par contre les chansons des Pooh, qui ont aussi 2 auteurs (Robby Facchinetti et Valerio Negrini), sont en général classées comme « pop », de même que 4/3/1943 (1971) de Lucio Dalla et Paola Pallottino, ou Piazza grande, de Lucio Dalla et Sergio Bardotti (1972). Mais Ci vuole un fiore, de Luis Enriquez Bacalov, Sergio Endrigo et Gianni Rodari (1974), chantée par Sergio Endrigo est dite «  chanson d’auteur ». Rino Gaetano, dans sa chanson Ma il cielo è sempre più blu (1975), qu’il dut modifier suite à la censure de la radio, est mis dans les chanteurs « pop ». Mais Margherita (1976), de Marco Luberti et Riccardo Cocciante, chantée par ce dernier, est dite « chanson d’auteur ». En 1981, Per Elisa, de Carla Bissi, Franco Battiato, Giusto Pio, chantée par Alice, est classée « chanson d’auteur ».  Vita spericolata (1983), un texte de Vasco Rossi sur une musique de Tullio Ferro, est dite « chanson d’auteur », de même que Creuza de mä (1984), un texte de Fabrizio De André sur une musique de Mauro Pagani. Mais Ci vorrebbe un amico (1984), la très personnelle chanson d’Antonello Venditti est dite « pop ». Bello e impossibile (1986) de Gianna Nannini et Fabio Pianigiani, est dite « pop », mais Quello che le donne non dicono (1987), d’Enrico Ruggeri et Luigi Schiavone, chantée par Fiorella Mannoia, est dite « chanson d’auteur », alors que Senza una donna (1987), du seul Zucchero « Sugar » Fornaciari, est dite « pop ». Dernier exemple : en 2007, Simone Cristicchi, auteur, compositeur et interprète de Ti regalerò una rosa, n’est pas considéré comme cantautore mais comme chanteur « pop ». Le moins que l’on puisse dire est que la distinction des « genres » n’est pas très rigoureuse, et que le flou le plus grand règne autour du concept de cantautore et de chanson d’auteur dans les classifications adoptées par les critiques (les exemples sont pris dans l’ouvrage cité de Ezio Guaitamacchi, qui ne définit nulle part les critères qu’il a adoptés) (. L’anticonformisme et l’individualisation des « auteurs » les fait aimer des uns, détester des autres, et ignorer pendant longtemps des médias et des industries discographiques, jusqu’à ce que ceux-ci s’aperçoivent que le cantautorato était rentable ! Mais cet anticonformisme sera, avec la « personnalisation » des textes, et la critique des idées dominantes, une des principales caractéristiques de la chanson d’auteur et du cantautore. Pour obtenir une liste de cantautori, on peut consulter sur le site Wikipedia « Categoria : cantautori italiani  ». Quant aux « genres », on pourrait en discuter à perte de vue. Généralement les chansons italiennes se partagent entre « chanson d’auteur », pop, rock, et chanson populaire (quand on parle de cette dernière). Pour souligner la complexité de ce bilan, rappelons que la liste déposée et consultable auprès de la SIAE (Società Italiana Autori ed Editori) comporte environ 6 millions de chansons, et chaque jour un peu plus ! Une seule chanson intitulée « Mi sono innamorato di te », connue comme de Luigi Tenco, est citée pour 24 auteurs et compositeurs différents. «  Vorrei », enregistrée sous le nom de Francesco Guccini, est aussi le titre de 3481 chansons. Un titre rare comme « Musica ribelle » comporte 6 références, dont celle d’Eugenio Finardi. « Fontana di Trevi » comporte 18 références, et la chanson intitulée « Garbuglio  » (titre rare), 6 références dont celle d’Erica Boschiero. « Miniera », la chanson de Cesare Andrea Bixio et Bixio Cherubini, n’est que l’une des 65 chansons qui portent ce titre. « Senza voce » d’Enzo Gragnaniello a 35 chansons concurrentes ; il y a 44 «  Stella stellina » … Il faudrait ajouter les auteurs et chansons non enregistrés… « Jusqu’à il y a quelque temps, même maintenant, il y avait un maître de musique qui composait la mélodie (…). Il faisait cette mélodie et il la confiait à une autre personne qui, d’un vilain mot, était et est encore appelé «  parolier  ». Les anglo-saxons emploient le mot «  lyrics  » pour les mots des chansons  ; nous employons simplement «  paroles  », et c’est parfois juste. Une fois la chanson faite, ils cherchaient la chanteuse ou le chanteur pour la chanter. Nous avons eu ainsi une série de grandes mélodies, de grands interprètes et de grandes paroles. Cependant, à la fin des années ’50, un groupe de gens alors jeunes ont fait une chose étrange. Ils ont écrit la musique, les textes des chansons, et ils ont osé ce qui n’était pas osable, ils ont chanté leurs chansons. Le phénomène n’était pas très rare, il était déjà arrivé. Dans l’histoire de la chanson italienne, il suffira de rappeler Odoardo Spadaro, avec quelques chansons merveilleuses, mais c’étaient des faits isolés. … Ces jeunes auteurs ont ouvert une voie. Les journalistes, toujours à la recherche d’étiquettes, de donner un nom à ce nouveau phénomène, ont choisi le mot de «  cantautore  ». Il y avait le français «  chansonnier  » qui était beaucoup plus beau, mais il était français  ; «  cantastorie  », mais c’est peut-être autre chose, et probablement cela les aurait offensés  ; Dario Fo me suggérait « cantore », mais le mot a aussi quelque chose d’un peu noble (« aulico »). Ce mot est né, mais le « cantautore  » est desinit in piscem comme disait Horace pour la poésie, c’est-à-dire qu’il finit en poisson  : à moitié sirène en dessus, et la partie de dessous finit en poisson. En somme il sent mauvais. Lui, c’est quiconque écrit une chanson, les paroles, la musique, et qui la chante. Autrefois cette figure était synonyme de valeur, l’expression «  chanson d’auteur  » était née. Mais, me dit-on, toutes les chansons ont un auteur, donc l’expression n’est pas valable en elle-même. Il reste un gros problème, le «  cantautore  » est un hybride, une chose étrange, on ne sait pas bien ce que c’est. Les anciens romains arrivés en Afrique ont vu un animal étrange, haut, long. On aurait dit un chameau, mais la couleur était celle du léopard. Nous le connaissons, c’était la girafe, mais les romains ne savaient pas son nom et ils l’ont appelé «  cammellopardo  » chameauléopard. Voilà ce qu’est le « cantautore», rien d’autre qu’un chameauléopard  ». (Francesco Guccini, cité sans date ni référence par le site . (Voir photo ci-dessus) Les groupes musicaux Quant aux groupes, il y a d’une part les groupes qui accompagnent un chanteur ou un cantautore, que nous citerons si nécessaire à propos du chanteur, et les groupes autonomes, qui ont un ou plusieurs chanteurs, mais que l’on connaît comme groupe autonome et non comme accompagnateurs. Nous indiquerons les principaux, mais vous pourrez consulter une liste de centaines de noms de groupes sur Wikipedia.org. « Categoria : gruppi musicali italiani » et « Categoria  : gruppi e musicisti italiani per regione  », qui mêlent dans le même ordre alphabétique les musiciens anciens, les chanteurs, les groupes, les instrumentistes, etc. Il faut se souvenir que le développement des « complessi » (les groupes, les ensembles) a commencé de façon explosive à partir des groupes américains et anglais de rock, où les Beatles (ci-contre à gauche) et les Rolling Stones (ci-dessous à droite) ouvrent la route. C’est l’époque du « beat », la découverte des « jeunes », l’affirmation de leur autonomie, de leur existence comme marché potentiel de la chanson. Cela commencera par la création de « covers », reprises en italien de succès étrangers, par des groupes qui prennent souvent des noms anglais (Stormy Six), et des noms d’animaux (I Dik Dik, I Camaleonti, I Corvi, etc.), à tel point que l’on va souvent croire que les Rokes sont un groupe italien doté d’un nom anglais, alors qu’ils sont vraiment d’origine anglaise. On n’imagine plus aujourd’hui la révolution que l’Amérique communiqua à l’Italie avec 10 ans de retard, et qui se manifesta par la création des «  complessi » les groupes qui, par centaines, sortent des caves où ils s’étaient formés, par l’organisation des concerts et rassemblements de jeunes adolescents qui avaient à leur disposition des guitares Eko bon marché, des disques 45T et des publications qui diffusaient le pacifisme, l’antiracisme, la « révolution », des jeunes qui ne rêvaient que des Beatles et des Rolling Stones anglais tout en adoptant les modes, les façons de vivre et de penser des jeunes américains, dans un grand happening qui traverse toute cette Italie qui commence à sortir de la misère de l’après-guerre et de la civilisation démocrate-chrétienne majoritairement agraire, au profit d’une industrialisation qui apporte la Vespa et la Lambretta. Telle fut l’époque de ce qu’on appela le « beat », bientôt suivie de celle du rock, sous ses différentes formes, puis du rap. Nous vous proposons ci-dessous une évocation des principaux cantautori italiens, et des principaux groupes par région. Elle est loin d’être exhaustive, en particulier pour les jeunes chanteurs, dont il est parfois difficile de trouver des biographies, parce qu’ils ne sont encore joignables que par un réseau, Facebook, Twitter ou autre. Ils n’ont qu’une diffusion ou locale ou internationale, plus que nationale. Nous avons aussi tenu compte de l’origine géographique de chacun. Beaucoup sont nés dans une région, et sont «  montés » à Rome ou à Milan pour enregistrer un disque, et ils y ont fait carrière, tout en continuant à être présents dans leur région et à y être écoutés et honorés (un seul exemple : Ivan Graziani  dans les Abruzzes). Plusieurs sont aussi nés à l’étranger, dans une ancienne « colonie » italienne, puis sont venus avec leur famille quand celle-ci est partie en Italie. Sergio Endrigo est né en Istrie à Pola, mais en 1939, il a suivi sa mère à Brindisi puis à Venise, et nous l’avons classé parmi les cantautori vénitiens ; Tito Schipa Jr (1946), le fils du ténor Tito Schipa, est né à Lisbonne, il a suivi ses parents aux Etats-Unis, puis à Paris puis au Piémont pour s’installer enfin en 1955 à Rome où il fait ses études et où il va écrire et enregistrer : nous l’avons classé parmi les chanteurs romains ; Ivan Della Mea était né à Lucques en Toscane, mais il vient très jeune à Milan, et il chantera en dialecte milanais, nous l’avons indiqué parmi les cantautori milanais. Mais Franco Trincale était né en Sicile, et il a fait une partie de sa carrière de cantastorie à Milan, il nous a cependant paru important de le classer parmi les siciliens, de même que Franco Battiato et Carmen Consoli, parmi d’autres ; Mariella Nava est née à Tarente, et elle s’installera finalement à Rome après son mariage, nous l’avons laissée parmi les originaires des Pouilles : les industries discographiques et les centres de pouvoir sont surtout dans le Nord, en particulier à Milan, et les chanteurs sont souvent contraints de se déplacer du Sud vers le Nord, ce n’est pas une raison pour ignorer leur origine géographique qui les marque souvent beaucoup. Prenez donc ces évocations comme une indication relative, qui devrait malgré tout vous aider à vous y retrouver ; nous développerons par région la biographie et la production des principaux chanteurs, et pour avoir des détails plus importants, reportez-vous à une rubrique d’Internet, Wikipedia ou autre, et aux livres indiqués. Comme pour notre précédent livre, nous avons considéré que la chanson est faite pour être écoutée, et nous avons indiqué un certain nombre de chansons, que vous pourrez trouver pour la plupart sur un site Internet, pensez en particulier à Canzoni contro la guerra sur Wikipedia italiano. Ces propositions d‘ « Écoute » compléteront la discographie indiquée dans le texte. Pour la bibliographie, nous n’avons indiqué en fin de chaque chapitre que les ouvrages qui n’avaient pas été cités dans le texte à propos de chaque auteur. Chacun consultera avec profit les catalogues des maisons d’édition indiquées à propos de chaque ouvrage (comme ci-dessous la Libreria Musicale Italiana Editrice ou Squilibri), souvent peu connues en France et pourtant très riches. Bibliographie sommaire (une bibliographie pour chaque région suivra chacun des chapitres) : * Céline Pruvost, La chanson d’auteur dans la société italienne des années 1960 et 1970 : une étude cantologique et interculturelle, Thèse d’État, Paris- Sorbonne, 2 Vol., 420 et 144 pages, décembre 2013. Très abondante bibliographie. * Enrico Deregibus, Chi se ne frega della musica ? Percorsi nella musica in Italia in compagnia di Gianluca Morozzi, NdA Press, 2013. * Enrico Deregibus, Dizionario completo della canzone italiana, Cantanti, autori, gruppi, produttori, Firenze, Giunti, 2006, 479 pages. * Enrico De Angelis, Musica sulla carta, 1969-2009, Zona, 2009, 536 pages. * Ezio Guaitamacchi, 1000 canzoni che ci hanno cambiato la vita, Rizzoli, 2009, 930 pages. * Giangilberto Monti e Veronica Di Pietro, Dizionario dei cantautori, Garzanti, 2003, 599 pages. * Dario Salvatori, Dizionario della canzoni italiane, Elleu Multimedia, 2001, 521 pages. Analyse d’environ 1500 chansons. * Jacopo Tomatis, Storia culturale della canzone italiana, Milano, Il Saggiatore, 2019 * Jean Guichard, La chanson dans la culture italienne. Des origines aux débuts du rock, Champion, 1999, 458 pages. * Felice Liperi, Storia della canzone italiana, RAI-ERI, 1999, 543 pages. * Academia degli Scrausi, Versi rock, La lingua della canzone italiana negli anni ’80 e ’90, Rizzoli, 1996, 398 pages. * AA.VV., Parole in musica, Lingua e poesia nella canzone d’autore italiana, a cura di Lorenzo Coveri, Pref. Di Roberto Vecchioni, Interlinea Editori, 1996, 224 pages. * Rizzi Ceare (a cura di), Enciclopedia del rock, Arcana Editrice, 1993, 640 pages. * Le dictionnaire le plus complet de la chanson italienne est : Il dizionario della canzone italiana, Armando Curcio Editore, 1990, 1736 pages, auquel est joint un supplément de description des chansons, Le canzoni, de 510 pages. Il s’arrête malheureusement en 1990. Il a eu la collaboration de 28 spécialistes. * Gianfranco Baldazzi, Luisella Clarotti, Alessandra Rocco, I nostri cantautori, Thema Editore, 1990, 394 pages. * Gianfranco Baldazzi, La canzone italiana del Novecento, Newton Compton Editori, 1989, 262 pages. * Gianni Borgna, Storia della canzone italiana, Pref. Di Tullio De Mauro, Laterza, 1985, 360 pages. * Roberto Leydi, I canti popolari italiani, 120 testi e musiche scelti a annotati con la collaborazione di Sandra Mantovani e Cristina Pederiva, Milano, Mondadori, 1978 (1973). Comporte des chansons, textes et partitions de presque toutes les régions d’Italie. * Roberto Leydi (a cura di), Guida alla musica popolare in Italia, 1.Forme e strutture, 2. I repertori, Lucca, Libreria Musicale Italiana Editrice, 1996 et 2001. Ouvrage collectif très riche qui comporte d’abondantes bibliographies et discographies. * Valter Giuliano, Canti, poeti, pupi e taranti, Incontri con i testimoni della cultura popolare, Roma, Squilibri, 2007. La culture populaire du Piémont à la Sicile. * La bibliographie de notre ouvrage précédent. Quelques définitions rapides Le « blues » est le chant de travail des populations afro-américaines et des immigrés pauvres du Mexique et des Etats-Unis ; il exprime les peines et la tristesse de ces travailleurs. Il est à l’origine du jazz, du rythm and blues et du rock and roll. Le « rythm and blues » naît dans les années 1940 aux Etats-Unis, il est la musique populaire de la population afro-américaine : c’est un blues rythmé joué par des noirs américains. Rock = Forme abrégée de « Rock’n Roll » (littéralement = « danser » et « faire l’amour »). Genre musical apparu aux Etats-Unis dans les années 1950, pour distinguer une musique inventée par les blancs de la musique des noirs, le « rythm and blues », d’où vient le rock, en ajoutant une influence de la musique « country » qui était la musique populaire blanche. Les premiers chanteurs à l’avoir popularisé furent Elvis Presley, Bill Haley et Carl Perkins ; le rock fut considéré comme musique diabolique par la bonne société américaine. On a souvent annoncé la mort du rock, dès la fin des années 1950, mais il reprend toujours vigueur sous des formes nouvelles, et reste la musique préférée d’une majorité de jeunes. Le rock va prendre de nombreuses formes et s’exprimer en de nombreuses tendances : le « gothic rock » qui s’inspire du « post punk » (voir ci-dessous), la « new wave » (= nouvelle vague) de la fin des années 1970 ; le « hard rock » (rock dur) aux sons plus agressifs. Le « grunge » apparaît dans les années 1980 à Seattle ; c’est une forme de rock « alternatif » qui s‘inspire d’autres genres comme la musique folklorique, le jazz, le reggae, la musique électronique. Le « rock progressif » apparaît en Angleterre vers la fin des années 1960, et préfère la contamination avec le jazz et la musique classique. On parlera aussi de « postrock » qui se développera à partir des années 1990, qui intègre des caractéristiques du rock alternatif. Punk = décrit la musique basée sur des guitares électriques. Le mot anglais est d’origine inconnue et désigne à partir de 1976-78, un mouvement de jeunes aux cheveux teints de couleurs vives et aux vêtements et comportements anticonformistes. Le groupe des « Sex Pistols » en fut représentatif. Ce sera un élément de la contre culture « underground » (= souterraine), qui s’opposait à la culture industrielle officielle. Une de ses tendances fut influencée par l’anarchisme. Le courant du « rock démentiel » en Italie en est proche (voir le site italien : rock demenziale). La musique pop pop music ») apparaît dans les années 1950-1960, elle met plus l’accent sur la mélodie et les harmonies vocales, et elle s’affirme avec l’arrivée des Beatles. La musique « soul » (en anglais = musique de l’âme ») dérive, à la fin des années 1950, du gospel et du rythm and blues, et elle est au départ la musique noire américaine (Ray Charles).  La « musique folk » désigne d’abord la musique populaire traditionnelle (Woody Guthrie) ; influencée par le rock, elle exprime la chanson contestataire qui lutte pour la paix, les droits de l’homme, la justice (Joan Baez, Bob Dylan, Léonard Cohen). Elle fait le lien entre la musique traditionnelle, avec ses instruments, et les rythmes et les instruments modernes. La « musique électronique » est conçue à partir de générateurs de signaux et de sons synthétiques, de la simple bande magnétique au synthétiseur moderne, dans des studios de musique électronique (Luciano Berio et Bruno Maderna), puis par des synthétiseurs. Elle se mêle parfois à la musique d’origine populaire. Le « reggae » apparaît en Jamaïque dans les années 1960 ; le mot vient peut-être du mot d’anglais jamaïcain « streggae » qui désigne une personne mal habillée ou une prostituée ; d’autres l’expliquent comme un mot désignant l’homme de la rue. Il se développe avec Bob Marley dans le monde entier. NOTES : 1.  Cf Intervista a Enrico De Angelis, in : Céline Pruvost, Luigi Tenco, parcours d’un des premiers cantautori, Mémoire de Master 2 d’études italiennes, Université de Paris IV-Sorbonne, Juin 2010, p. 128. 2. Voir le livre de Ezio Guaitamacchi, 1000 canzoni che ci hanno cambiato la vita, avec préface de Zucchero «  Sugar  » Fornaciari et una note introductive di Renzo Arbore, Rizzoli, 2009, 927 pages. Le livre traite des chansons de 1951 à 2009  ; environ 20% sont des chansons italiennes. Les chansons populaires sont absentes ! ACCEDER AUX CHAPITRES