Sardegna : La Sardaigne - 1
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Petite histoire de la Sardaigne des origines à 1945 « ... e a dir di Sardigna le lingue lor non si sentono stanche » (Dante Alighieri, Inferno , XXII, 89-90) On ne se lasse pas de parler de la Sardaigne, dit Dante ; ce n'est pourtant pas facile, pris que l'on est entre les détracteurs de la Sardaigne et ceux qui ont pris leur contrepied pour leur répondre. Pas facile non plus par conséquent de trouver la clé de l'histoire du pays. La Sardaigne est restée longtemps une terre inconnue ou mal connue, en particulier des rares voyageurs français (Cf textes en fin de dossier). Montesquieu, en 1728, ne donne que des  informations de seconde main qu'il doit au vice-roi piémontais, le baron de Saint Rémy ; il décrit la Sardaigne comme une terre « sans air ni eau », où il était possible « de parcourir 20 milles sans trouver ni une maison ni une auberge » et les habitants comme un peuple en- deçà de toute civilisation : « ils ne fauchent pas l'herbe pour nourrir le bétail en hiver, parce que leurs pères ne l'ont jamais fait ; ils ne plantent pas d'arbre, parce que leurs pères ne l'ont jamais fait ». Joseph de Maistre, en 1805, soutient que le caractère des Sardes est marqué par la non-perfectibilité et même l'animalité : « chaque profession fait ce qu'elle a fait hier, comme l'hirondelle construit son nid et le castor sa maison ». En 1882, la Société d'Anthropologie de Paris débat sur le thème : « Les Sardes sont-ils intelligents ? » et beaucoup concluent par la négative ! Quant à l'interprétation de l'histoire (Que représentent les nuraghes ? D'où vient le peuple sarde ? Quels rapports a-t-il eus avec les Carthaginois ? Quelles furent les conséquences de l'occupation espagnole puis piémontaise ?, etc.), elle conditionne évidemment le jugement que l'on porte sur la Sardaigne contemporaine : quel est le sens, l'apport de l' « autonomie » ? Quel type de développement est le plus conforme à la vocation historique de l'île ? Les informations ci-dessous visent à éclairer un peu ce pays fascinant et à nous aider à le mieux comprendre. Ouvrages et sites utilisés :  * TOURING CLUB ITALIANO,  Guida d'Italia, Sardegna , 5ème édition, 1984. * R. CARTA RASPI, Storia della Sardegna , Mursia, 1974. * G. LILLIU, La civiltà dei Sardi dal neolitico all'età dei nuraghi , ERI-RAI, 1967. * Massimo PITTAU, Origine e parentela dei Sardi e degli Etruschi, Saggio storico-linguistico, Sassari, Delfino, 1995, 306p.     * Archivio Sardo del movimento operaio contadino ed autonomistico, n. 50, 1998 :  La storiografia sarda degli ultimi decenni.                   Girolamo Sotgiu tra cultura e impegno politico.     * Salvatore SATTA, Le jour du jugement , Gallimard, Folio, 1990.        * Grazia DELEDDA, Elias Portolu , Autrement (Traduction de 1997), et autres  romans et nouvelles.     * Pierre REYSS (adapt. de l'anglais), Le grand guide de la Sardaigne, Gallimard, 1992,     * Aida ESU, La violence en Sardaigne , Arguments, 1992.             * Clara GALLINI, La danse de l'Argia , Verdier, 1988.             * Renata SERRA, Sardaigne romane , Zodiaque, La nuit des temps, 1989.             * Bernard LORTAT-JACOB, Musiques en fête, Société d'ethnologie, 1994,                                                                                                     " Chants de passion , Cerf 1998, avec CD audio.                        * Jeannine LEON LEURQUIN, Atlas préhistorique et protohistorique de la Sardaigne , L'Harmattan, 1997.            * Giuliana ALTEA, I gioielli d'arte in Sardegna , Carlo Delfino Editore, 1995.            * Gian Paolo MELE, Aspetti della coralità di ispirazione popolare , Grafica Mediterranea, Nuoro, 1990            * Franco CAGNETTA, Bandits d'Orgosolo , Buchet/Chastel, 1963.            * Antioco CASIULA, Antologia , Edizioni della zattera, Cagliari, 1960.            * Giuseppe FIORI, La società del malessere , Laterza, 1968.            * Maria GIACOBBE, Diario di una maestrina , Laterza, 1967.            * Gavino LEDDA, Padre padrone. L’educazione di un pastore, Feltrinelli, 1975.                         « Lingua di falce (romanzo), Feltrinelli, 1977.            * Gonario PINNA, Il pastore sardo e la giustizia , Editrice sarda Fratelli Fossataro, Cagliari, 1967.           * Emilio Lussu, Marcia su Roma (La Marche sur Rome), 1931 : l’arrivée du fascisme en Sardaigne.           * Voir de nombreuses informations sur Internet en tapant chaque nom de lieux, de sites, etc, et en particulier le site : www.lamiasardegna.it/files/storia. I. - La Sardaigne : le pays La Sardaigne est, avec quelques massifs des Alpes et de l'Apennin calabrais, la terre la plus ancienne de l'Italie : elle existe presque seule à l'ère primaire (570-225 millions d'années) ; complètement émergée à l'ère tertiaire (65-2 millions d'années), elle ne fait jusqu'au Quaternaire (à partir d'il  y a 2 millions d'années)  qu'un bloc avec la Corse. On suppose parfois que les deux îles seraient les restes d'un vaste continent (l'Atlantide ? la Tyrrhénide ?) de l'ère secondaire, englouti à l'ère tertiaire ; quelques fossiles trouvés en Sardaigne (l'éléphant nain commun aux îles de la Méditerranée, ou le macaque trouvé aussi en Espagne et à Gibraltar) et un animal vivant (le mouflon commun avec la Corse, la Crète et Chypre)  font penser que la Méditerranée a pu être une région de grands et petits lacs entre lesquels se promenaient librement les animaux. On voit sur la carte 2 que la plaine du Campidano (sud-ouest) correspond à un fossé ouvert au Secondaire et peu à peu comblé par les sédiments qui laissent subsister de nombreux étangs ; c'est la région la plus riche (agriculture, mines, salines, pêche). (Cf cartes 1 à 4). On peut penser que, il y a environ 20 millions d’années, il y aurait eu un seul bloc « sud-provençal », avant l’apparition de la Méditerranée actuelle, et que la Corse et la Sardaigne se seraient peu à peu détachées du bloc et écartées comme deux branches d’un compas avec Gênes comma axe de rotation. Les preuves sont abondantes, par exemple, roches et coulées volcaniques identiques dans les Maures, L’Esterel, la Corse et la Sardaigne. Il semble que la faune, la flore et le type humain sardes aient été stables (boeuf, chien, sanglier, renard, mouflon, cerf encore existants, tandis que petits crocodiles, éléphants, ours, singes ... ne se trouvent plus qu'à l'état fossile) et aient gardé depuis les origines les mêmes caractéristiques, dont leur taille basse : permanence expliquée par le fait que la nature et le sol - rudes et arides - n'ont pas pu être modifiés par l'homme et que donc homme et nature sont restés inchangés au cours de l'histoire (Cf. R. Carta Raspi,  p. 21). Ce n'est qu'à partir des années ‘60 de notre siècle que l'agriculture a pu gagner de nouvelles terres. La Sardaigne est la seconde île de la Méditerranée en superficie (24.089 km2, 7,5% de l'Italie physique) ; sa situation géographique en fait une région de transition, rencontre de paysages italiens, ibériques et africains, au croisement de l'importante voie longitudinale entre les bassins occidental et oriental de la Méditerranée, dans une position stratégique et militaire  qui y fit converger et se fondre des éléments culturels et ethniques très différents, dans une configuration qui marque encore l'île et en fait une sorte de « musée naturel pour l'ethnographie sud-européenne » (G. Lilliu). L'ancienne Ichnusa (de iknos = plante du pied) ou Sandaliòtis  ou Sardò  des Grecs, qui la comparèrent à une empreinte de pied humain (d'où la légende chrétienne postérieure qui y vit une trace du pied de Dieu lors de la création du monde), est l'île la plus lointaine de toutes les côtes (180 kms de l'Afrique, 188 de l'Italie, 278 de la Sicile et 315 des Baléares, mais seulement 12 kms de la Corse dont elle n'est séparée qu'à l'ère tertiaire, au miocène). La configuration de ses 1896 kms de côtes contribue paradoxalement à l'isoler des grands courants des principales civilisations méditerranéennes : rocheuses pour les 3/4, et constituées  de plages bordées de dunes, avec peu de ports naturels, à l'exception de Cagliari, tourné au Sud vers l'Afrique. Le contour est plus varié au Sud et à l'Ouest, où l'isobathe (ligne d'égale profondeur) se maintient régulièrement à 200 m. à environ 20 m. de la rive, tandis que la côte Est connaît des sauts de 1.000 m. à moins de 15 kms de distance, ce qui explique que les premières présences humaines soient plus denses à l'Ouest et au Sud, dont l'intérieur comporte par ailleurs des étangs ou lagunes et des espaces de plaines plus fertiles. Les côtes ont donc peu favorisé une colonisation et un peuplement de la Sardaigne du type de ceux qu'ont connus la Sicile et la Grande-Grèce, mais des occupations ayant pour but une simple domination politico-militaire et une exploitation des richesses agricoles et minières du Campidano. L'intérieur de l'île n'est pas plus favorable : le massif granitique continental primitif a été peu à peu morcelé par fractures successives qui ont fragmenté le paysage en une série de montagnes séparées par des fosses ou des conques comblées par des effusions trachytiques (laves, et présence d'obsidienne) puis par des dépôts calcaires ou marneux. Ainsi la fosse de 100 kms qui constitue le Campidano est remplie par des alluvions quaternaires. Cette formation dessine un ensemble d'une quinzaine de massifs anciens à surface arrondie, séparés par des hauts plateaux et des plaines correspondant à des lignes de fractures tectoniques. Cette morphologie de l'île a favorisé le développement de petites unités ethniques à caractère cantonal, à l'intérieur du village, voire de clans ou de groupes familiaux vivant dans les frontières naturelles des montagnes dans une multiplicité de milieux culturels sans cohésion politiue et morale, ce qui facilita l'action des envahisseurs à toute époque. Ces petites unités se fixent de préférence, à l'époque nuragique, entre 500 et 600 mètres et à 25-30 kms de la mer, sur les plateaux d'où elles pouvaient dominer et surveiller l'environnement. Seules les cultures prénuragiques avaient préféré les plaines alluviales et les bords des cours d'eau ou les grottes carsiques à moins de 600 m. et moins de 25 kms de la mer. Cette culture de haut plateau peu propre à l'agriculture (qui correspond aux civilisations de fleuve et de plaine = 1/5 de la surface de l'île) favorise par contre le développement de l'élevage et d'une civilisation pastorale belliqueuse, sur des terres favorables à l'herbe et au maquis, garrigue, lande ou steppe prédésertique, dont la diversité entraînait une pratique de transhumance et de nomadisme pastoral dans les terres de l'intérieur impropres à l'agriculture. Même dans les zones de plaine et  de collines, à la différence des grandes civilisations de la Grèce et du Moyen-Orient, la civilisation agricole n'atteignit jamais le stade de la civilisation urbaine, sinon sur les côtes. Un autre élément constitutif de la culture sarde est la richesse du sous-sol en minéraux qui fut sans doute une des causes principales de la venue de l'homme sur l'île, à la recherche de l'obsidienne (« l'or noir » de l'Antiquité) utilisée de l'âge de la Pierre à l'âge du Fer pour fabriquer armes et outils. Plus tard furent exploités les métaux : argent, plomb, cuivre des régions les plus ouvertes à la mer (Campidano) et qui attiraient donc facilement les navigateurs. C'est de cette présence des mines que provint le caractère industriel de la civilisation nuragique et la vocation à la guerre qui caractérisa ces peuples de bergers. II. - Quelques éléments d'histoire de la Sardaigne Toujours dominée, jamais "conquise" 1- Du mythe à l'histoire Les premières informations que nous avons sur la Sardaigne nous viennent surtout des écrivains grecs de Sicile (Diodore de Sicile, Pausanias, ...) qui avaient tendance à rattacher la Sardaigne à leurs mythes de façon souvent contradictoire. C'est Norax, roi de la mythique cité de Tartessos, qui aurait fondé Nora, première ville de Sardaigne ; mais ils parlent aussi de la colonisation de la Sardaigne par le Thébain Iolaos, le conducteur de char d'Hercule, par le Tessalien Aristée (fils d'Apollon, qui avait appris des Nymphes l'art de cailler le  lait pour faire le fromage, de construire des ruches et de cultiver la vigne et l'olivier, activités sardes), tous deux représentant la nature pastorale belliqueuse des montagnards, (Aristée serait venu de Lybie en Sardaigne et « émerveillé par la sauvage beauté de l'île, il entreprit d'en cultiver la terre et après avoir eu deux fils, il y fut rejoint par Dédale, mais aucun récit ne rapporte qu'il y fonda une cité » (Graves, Les mythes grecs , I, p. 298), par le Crétois Dédale, symbole du génie constructeur méditerranéen (qui avait fui la Crète pour échapper à la colère de Minos après le meurtre du Minotaure par Thésée) ou par des Troyens échappés d'Ilion après la destruction de Troie par les Grecs. Ceux-ci appelaient en effet les anciens habitants de la Sardaigne « Ioliens » (Jolaei) ou Iliens (Ilienses). En réalité, ce Iolaos serait selon Polybe un héros libien, vénéré comme dieu en Sardaigne. L'historien Ettore Pais confirme la probable origine libyenne des premiers Sardes, qui auraient eu, selon Pausanias, les mêmes cultes et les mêmes caractéristiques somatiques que les Libyens (Sardus, le héros qui donne son nom à l'île, aurait été le fils d'un Hercule égyptien et libyen). Les mythes concernant la Sardaigne font donc ressortir deux caractères des Sardes vus par les Grecs : le goût de la lutte, et donc de la liberté et l'aptitude à construire d'un peuple passé du stade agricole au stade pastoral au cours d'un retrait des bords de mer vers l'intérieur et retombé dans ce que les Romains appelleront une « barbarie » (--> la « Barbagia », région centrale de l’île, et les « Barbaricini », ses habitants). 2. - Epoque prénuragique (du paléolithique à 1500 av .J.C.) (Cf carte) a) Le paléolithique (à partir de – 150.000 ans) La Sardaigne est une des dernières régions d'Italie à avoir connu la présence stable de l'homme. C'est aussi le fait des autres îles (Corse, Baléares) dont l'éloignement du continent et l'âpreté du relief ne permettaient pas l'accès avant que les embarcations se soient perfectionnées par rapport à celles que connaissait le paléolithique. Seuls quelques silex trouvés dans l'Anglona (Sassari-Castelsardo) sont le signe d'une présence remontant à –150.000 ans (Paléolithique) d'hommes venus peut-être de Toscane par l'Ile d'Elbe et la Corse. D'autres communautés sont arrivées à partir du VIIème millénaire, attirées par l'obsidienne de Monte Arci (Oristano) ; elles laissent des objets en pierre (obsidienne et silex) de forme minuscule et des vases de terre cuite lisse décorée de motifs linéaires imprimés à cru avec des pointes ou des coquilles de mollusques. D'autres communautés plus avancées, ayant des éléments communs avec l'Italie du Sud, Malte et les îles de l'Est méditerranéen, apparaissent à partir du IVème millénaire dans la zone de Mara (entre Bosa et Macomer : grottes de Bonuighinu) et de Cabras : cabanes, grottes aménagées en habitation, sépulture et lieu de culte (tombe creusée dans la roche avec voûte en four précédée d'un puits d'accès fermé par un enclos) ; squelettes recouverts d'ocre rouge, couleur du sang régénérateur, vases décorés (lignes en zig-zag et dessins géométriques), bijoux, bracelets de coquillages marins, pas d'objets en métal ; petites statues en terre cuite ou en os représentant la déesse mère, aux parties féminines érotiques accentuées aux dépens du visage, symboles de la nature fertile et compagnes du dieu mâle dont on trouve de rares images phalliques ou représentatives (Musée de Sassari) : trace possible de régime matriarcal. À la déesse sont consacrés le cerf ou le mouflon et la colombe. b) Le néolithique (à partir du IIIème millénaire) Les traces humaines les plus importantes retrouvées dans l'île remontent au néolithique (de « lithos » = la pierre --> « Nouvel âge de la pierre » : avant 2000 av. J.C. jusqu'à 1500 av. J.C. = de l'âge de la Pierre polie à l'âge du Cuivre et du Bronze ancien), ce qui laisse supposer que l'île aurait été colonisée à cette époque par des peuples venus de l'Afrique ou du Moyen-Orient, dont on trouve les premières traces dans le Sud de la Sardaigne. L'examen des squelettes trouvés dans des grottes du Sud confirme qu'il s'agissait bien de méditerranéens, essentiellement dolichocéphales, à la peau sombre, de taille plutôt basse (1,55 -1,63 m.), aux cheveux noirs ou châtains, au nez fin et aux lèvres charnues, apparentés probablement aux Africains du Nord mais proches aussi de types crétois. Les Anciens parlaient de « Sardo-Libyens ». Ces premiers habitants vivaient le long des côtes. L'abondance de toponymes formés à partir de la racine « Mar » (Mara, Villamar, Maracalagonis, Maraina ...) d'origine sumérienne, et de la racine Bar (Bara, Barazza, Barumini ...) d'origine akkadienne, laisse supposer que ces premiers occupants venaient du Moyen-Orient (Crète et Cyclades). Ils habitaient dans des grottes (San Bartolomeo et Sant'Elia, près de Cagliari ; San Michele, près d'Ozieri), des cabanes (vastes villages) et des abris sous roche (près d'Arzachena). Ils vivaient de chasse et de pêche, (sur une terre « paradisiaque » où abondait la faune et qui n'avait ni bêtes féroces ni serpents venimeux) mais aussi d'agriculture (la charrue est connue) : blé, figues, prunes, poires, châtaignes, cerises, arbousier, myrte ; ils utilisaient probablement l'huile animale et végétale. La culture dite « de San Michele » s'est répandue largement : 140 sites sont répertoriés. Riche production artistique de céramiques décorées et de bijoux ; développement du dieu mâle sous forme de taureau, à côté des statuettes féminines ; la tombe creusée dans la roche s'agrandit et se perfectionne, et se double de constructions funéraires extérieures, dolmens à couloir, menhirs, pierres dressées (« pietre fitte ») symbolisant le dieu mâle ou indiquant des lieux de sépulture et des itinéraires cultuels. Ces constructions sont les prémisses de la culture mégalithique ; certaines ont déjà un caractère défensif et de contrôle du territoire D'autres peuples  sont arrivés de Ligurie par la Corse (refuge de Santo Stefano dans l'archipel de la Maddalena, remontant peut-être jusqu'au IVè millénaire av. J.C. et grotte dite « del Rifugio-Oliena »), d'autres encore de l'Espagne (influence de la culture mégalithique ibérique de Catalogne et des Pyrénées : cf. les vases « campaniformes » = en forme de cloches). Ces peuples sont attirés par la richesse en gibier et en obsidienne de la zone d'Oristano  et de son arrière-pays (Monte Arci) : Cf. : Carte de la Sardaigne prénuragique. Selon le Pseudo-Aristote, l'île était couverte d'un épais manteau de forêts, et le centre n'était habité que de cerfs, de sangliers et de mouflons. Pausanias rapporte que les Sardes primitifs, avant les invasions africaines, vivaient dans des cavernes, de la chasse pratiquée avec des lacets et des armes de pierre puis de cuivre et de bronze, à une époque antérieure aux bouleversements qui provoquent l'ouverture du Détroit de Gibraltar (et la séparation de la Corse et de la Sardaigne de l'Afrique ?). Faibles et mal armés, ils ne résistent probablement pas aux tribus africaines ou ligures, se réfugient dans l'intérieur et se fondent avec leurs envahisseurs. On ne sait pas grand-chose de la langue primitive sarde, sinon à travers quelques noms d'animaux ou de lieux, qui feraient apparaître  des analogies avec le basque : Bitti  = agneau (basque: bitin  = chevrette), Golosti  = houx (basque : gorosti ), mògoro  = hauteur (basque : mokor  = motte, tronc). Les premières tombes de l'époque prénuragique sont les « domus de janas » (les maisons des fées) destinées à l'ensemble de la population (Hypogée creusé dans la roche et servant de sépulture collective à tout un clan. Voir de nombreuses photos  commentées en tapant « Domus de Janas Sardegna »). Le rite funéraire est généralement l'inhumation dans ces tombes qui  rappellent, en plus raffiné, la maison terrestre. Cf. Tomba di Santu Pedru, n.15, vers Alghero. Voir des photos en tapant ce nom  sur Internet). (La légende populaire sarde y fait habiter des fées qui tissent en chantant sur des métiers d'or et y meurent changées en pierre, ou des  sorcières comme la terrible Orgìa Rabiosa, rendue folle et pétrifiée par la douleur, sorte de Niobé sarde qui rappelle la figure primitive de la Grande Mère,  déesse des eaux et de l'amour fécond. Cette forme de sépulture vient probablement de l'Orient où elle est pratiquée (Palestine, Chypre, Cyclades). On  compte dans l'île plus de 1000 domus de janas , dont la moitié au Nord, dans la Province de Sassari. Parmi les décorations des tombes apparaissent  souvent une tête de boeuf = le Taureau, représentant la force virile du dieu mâle, et la Déesse Mère lunaire, couple destiné à régénérer la vie disparue du  défunt et parfois repris dans les couples de menhirs.)  Il s'agit d'une monumentalité souterraine (tandis que l'époque nuragique préférera le monument à ciel ouvert) selon une idéologie typiquement orientale et sémitique pour laquelle l'âme souffrirait si le corps perdait la paix du sépulcre dont on assure donc l'intangibilité en le cachant sous terre ; cela mettait par ailleurs le défunt en contact direct avec la force germinative de la terre mère dans la nuit de l'hypogée qui était l'image de la nuit éternelle de l'outre-tombe. La communication avec les vivants, les fils du soleil, se faisait soit par un puits d'accès (pour les constructions les plus anciennes proches de la mer et directement influencées par les coutumes orientales de Syrie ou Palestine, vers 2000 av. J.C.) soit par les « finestrelle » de la domus (constructions creusées horizontalement dans la roche et donc visibles de l'extérieur, où l'on pouvait célébrer des rites propitiatoires et de là se livrer à l'adoration de la divinité, dans un passage instinctif de l'animisme au théisme). Ces tombes avaient souvent la forme de la cabane circulaire ou rectangulaire au toit à double pente = formes de l'habitation primitive sarde. La décoration reprend souvent le couple Taureau (symbolisé par les cornes)/ Déesse Mère, commun aux peuples méditerranéens (Crète, etc.) ; de cette époque datent les petites statuettes en marbre très réalistes de Déesse nue à l'érotisme marqué (statues callipyges = aux belles fesses, plus que stéatopyges = aux grosses fesses adipeuses), qui alternent avec les représentations géométriques abstraites et symboliques (où les seins de la nourrice sont simplement marqués par des disques ou des proéminences coniques). G. Lilliu interpréte cette alternance comme le signe de l'accès au stade de la religion comme vision dualiste du monde :   « d'un côté le réel, le concret, le physique, et l'humain, de l'autre le surréel, l'abstrait, le métaphysique et le surhumain, , concepts qui relèvent de la sphère du divin, concepts religieux. Le terrain de ces concepts est le terrain agricole (sur le modèle du « Paradis terrestre » biblique) avec le dualisme du cycle végétatif (naissance et mort périodique de la végétation) qui se reflète dans le dualisme du cycle solaire, lunaire et astral et dans le dualisme humain (mystère de la vie et de la mort). Les dieux sont faits en conséquence : esprits invisibles qui animent toute la matière physique, les organismes, l'homme, le monde entier perceptible et deviné (animisme naturel, biologique et cosmique). Mais, parmi les esprits, selon la caractéristique de la religion orientale, on distingue le couple divin , modelé sur le dualisme sexuel des organismes animaux, sur le cycle végétatif agraire de la terre mère (élément passif) imprégné par la semence (élément actif), sur le double astral (soleil-lune). On peut penser que l'homme se sentait partie intégrante et active de ce dualisme et qu'il y reconnaissait l'origine et la finalité de son être » (op. cit. p. 143-4). La civilisation agraire des Sardes semble avoir aussi pratiqué le cannibalisme parricide : Timée de Taormina (vers le IVè siècle av. J.C.) rapporte leur pratique barbare consistant à tuer les vieillards en les accompagnant vers des abîmes, en les achevant à coups de bâton et en les précipitant au fond parmi des rires féroces et inhumains dans une sorte de frénésie festive (les jeunes sardes provoquaient ce rire sardonique en se frottant les lèvres d'euphorbe, plante irritante qui contractait les muscles du visage en un rictus horrible) ; rite commun à de nombreuses sociétés primitives africaines, australiennes ou américaines, destiné à combattre l'angoisse de la mort en la provoquant soi-même de façon rituelle : la mort que l'on fait subir consciemment au vivant accélère la reproduction de la vie humaine et végétale, dans une civilisation rurale à dominante matriarcale (puissance de la femme mère qui s'identifie à la nature végétative et force magique de l'ancêtre totem, vrai père généalogique,  qui se substitue au père naturel ; celui-ci peut donc être supprimé). Ce rite se doublait de « patrophagie » : on pendait les vieux parents à un arbre d'où ils étaient secoués comme des fruits mûrs pour être ensuite tués et mangés. On a retrouvé près de Cagliari (Culture dite de « San Michele ») des os humains gravés et brûlés avec des os d'animaux, qui laissent présager des pratiques anthropophagiques. Une coutume singulière, restée vivante en Sardaigne, est un autre témoignage de ces rites primitifs : elle consistait à immerger des crânes humains dans l'eau pour faire venir la pluie en cas de sécheresse extrême. Un nombre impair de crânes étaient retirés par un nombre impair de personnes de l'ossuaire du cimetière en période de nouvelle lune puis immergés en cachette dans l'eau ou dans un cours d'eau = autant de motifs magiques d'un rite agraire de fertilité lié au sacrifice d'un être humain: le nombre (impair), le temps (la nouvelle lune = obscurité propre à la mort), le moyen (immersion dans l'eau pour rendre l'eau propice), le crâne (partie à laquelle on attribue une valeur magique. Cf. présence nécessaire du crâne dans le culte de St Janvier à Naples). On trouve aussi, dans la grotte de Rureu, près d'Alghero, des colliers de dents humaines, amulettes magiques pour se préserver du mal. Plus encore qu'ailleurs, l'âge du bronze fut aussi en Sardaigne le passage à l'âge de la guerre : « S'il y eut une civilisation particulièrement marquée par la civilisation du bronze, ce fut précisément celle des Sardes, peuples qui montrent, à partir de la moitié du second millénaire av. J.C., une sorte de vocation « religieuse » pour la guerre et semblent être les enfants pieux et implacables d'un Mars barbare » (G. Lilliu, op. cit. p. 78-9). L'époque prénouragique est déjà marquée par de grandes constructions qui préludent aux « nuraghi » proprement dits : les tombes à structure mégalithique (cercles de dolmens de la Gallura dans le Nord) ; mais aussi des monuments d'architecture proprement religieuse, les temples, édifices  publics au service de toute la communauté sur le modèle oriental (« Ziqqurath » du Mont d'Accoddi à 11 kms de Sassari sur la route de Porto Torres : âge du cuivre, vers 2450-1850 av. J.C.). 3. - Epoque nuragique (1500 - 238 av. J.C.)  Les peuples qui avaient déjà commencé à pénétrer en Sardaigne dès l'époque prénuragique  continuèrent à la marquer de leur influence par des apports d'objets, de formules architecturales et  artistiques, de modes de vie, de rites, selon un itinéraire Est-Ouest qui resta une voie maritime   traditionnelle jusqu'aux grandes colonisations phénicienne et grecque. A partir de 1600 av. J.C.,  les îles Eoliennes étaient devenues une escale courante pour les navires égéens et mycéniens ;  d'autres envahisseurs venus d'Anatolie (Turquie) ravagent Malte et arrivent en Espagne ; la  Méditerranée est parcourue pendant ce milieu du second millénaire par un mouvement incessant  de peuples divers venus de  l'Orient pour « coloniser » les terres d'Occident, et ce jusqu'au grand  cataclysme de la Guerre de Troie vers 1200 av. J.C. (Pausanias mentionne aussi une immigration  venue d'Espagne, les Ibères, dont un certain Norax aurait fondé Nora, la première ville sarde. On parle aussi  des « Balares », troupes mercenaires des Carthaginois, venues de Libye ou d'Espagne (des Baléares) et qui,  ayant trahi Carthage, se seraient réfugiées dans les montagnes sardes. Parmi les objets trouvés en  Sardaigne, il y a en effet des haches de bronze de forme typique du Sud de l'Espagne.)   Ils arrivèrent aussi en Sardaigne qui avait déjà un substrat oriental et qui les attirait par ses richesses minières (cf. lingots de cuivre gravés de lettres de l'alphabet égéen, en provenance de la Crète, retouvés près d'Ozieri). Un autre indice est l'apparition de la « tholos » (édifice circulaire à coupole) des premiers « nuraghi », forme d'origine mycénienne (cf. nuraghe de Barumini) ; ainsi l'influence orientale vient se greffer sur les premiers occupants qui habitèrent encore l'île jusqu'à l'époque de la conquête carthaginoise et furent les constructeurs des « nuraghi » (Cf. carte de densité des nuraghes, à droite). La Sardaigne est entrée désormais dans l'ère des grands constructeurs, des guerriers-bergers, de la « liberté sarde » : « La civilisation des Sardes – écrit G. Lilliu – est une civilisation de grands constructeurs. Face à l'architecture, les autres expressions du goût, bien qu'il n'en manque pas de remarquables, représentent une valeur mineure. Les vastes étendues, les formes puissantes et suggestives de la roche, la morphologie du paysage lui-même en forme de bastions et de tours, les roches trouées par les forces élémentaires de la nature, furent le sédiment spontané et la source instinctive de cette architecture de pierres accumulées et creusées avec art par l'homme. Sur cette disposition physique, agirent ensuite l'état économico-social de l'agriculture qui exige des édifices stables et durables, les idéaux « religieux » qui exigent pour les morts et les dieux des choses extérieures telles que seule la pierre pouvait les donner, les modèles extérieurs venus par les eaux de la Méditerranée. Et enfin, le vent, le grand ennemi, avec son défi démolisseur qui fut accepté par les constructeurs, donna un dernier élan aux Sardes pour achever leur architecture qui, comme architecture d'îles fouettées par le vent, et comme architecture de lieux aux roches grandioses, fut par conséquent exprimée dans des modules gigantesques, dans un style et un esprit mégalithiques. Vocation architecturale et goût (idéal) mégalithiques furent une sorte de sceau primordial de la civilisation des Sardes, et donnèrent une apparence « cyclopique » à un peuple qui était fait, au fond, de petits hommes. L'île fut marquée pour toujours par des miracles de pierre, la matière qui, plus que toute autre, de tout temps et dans la plus grande partie des civilisations, donne aussi la « saveur » la plus pure et la plus naturelle à l'art de construire » (p. 96-7). La période nuragique va de 1500 av. J.C. (Nuragique archaïque jusqu'au Xè siècle av.J.C. = Bronze moyen et Bronze récent) jusqu'à 238 av. J.C. (Nuragique moyen, Xè-VIè siècles av. J.C. = 1er âge du Fer, constructions de Barumini et Nuragique récent, du VIè siècle à l'occupation romaine en 238 = second âge du Fer) : 1) Le Nouragique archaïque est marqué par les cultures         * de Bunnànnaro (Sassari), première forme de la civilisation des plateaux (1500-1200 av.J.C.), créée par des populations agricoles des bords de mer transférées dans la montagne, passées à l'activité pastorale et guerrière (présence du « brassard », petite plaque de pierre serrée au poignet pour amortir le recul de l'arc) et adaptant à leur milieu la formule de l'architecture orientale de Mycènes  (cf. carte de diffusion de la culture du bronze de Bunnànnaro, ci-dessous, extraite de l’ouvrage de Lilliu, p. 165) ; * de Monte Claro (Cagliari) : villages de cabanes rondes (cf. carte ci-dessous); * la culture de la Gallura (Nord-Est). 2) Le Nouragique moyen (de 1200 au VIème siècle), à partir de la diaspora provoquée par la guerre de Troie qui entraîne de nouveaux flux migratoires d'Est en Ouest (dont les Phéniciens) et une nouvelle influence du monde oriental sur la civilisation nuragique. Les échanges se développent entre les peuples de la Méditerranée et cela a pour conséquence un progrès général. Le bronze aurait pu être introduit en Sardaigne par les Shardana, dont on trouve des représentations en Egypte dès le XIIème siècle av.J.C. De l'origine médio-orientale de la culture sarde témoignent les nombreux toponymes de provenance mésopotamienne : UR (= habitation, village, ville), AL/A, GAL (= grand. Cf. Gallura), ASU (= myrte), GEN (= montagne. Cf. Gennargentu), MAS (= chèvre), SILA (= agneau), TUR (enclos pour le bétail), etc. (Cf Raspi, pp. 97-9). Carta Raspi fait même l'hypothèse que ces Shardana (originaires de la Lydie, région nord-ouest de la mer Egée) ont constitué la base du peuplement sarde de cette époque et de l'époque antérieure bien avant l'arrivée des Phéniciens ; ce seraient eux qui seraient à l'origine des premières villes maritimes sardes (pp. 112 sq) et qui, à partir de la Sardaigne, se seraient répandus dans la Méditerranée : « La Sardaigne ne fut pas point de convergence mais d'irradiation » (p. 113). Le site de Barùmini (du Xè au VIè siècle av. J.C.) est l'un des plus importants de cette période ; le nuraghe fortifié, entouré de tours et de remparts, se trouve au milieu d'un village entier de cabanes.  A côté des villages sont aussi les sépultures : les « tombes des géants » destinées aux chefs ou à l'ensemble du village : tombes à couloir qui reprennent les caractéristiques de la « domus de janas » de l'époque prénuragique (cf. tombe de Paulilàtino (vers Macomer), de 24 m. 60 de long). Un autre type de monument est le Temple à puits, destiné à la vénération des eaux potables, comparable à une chambre de nuraghe souterraine. (Cf. carte de diffusion des temples à puits).
Extrait de : Geografia 1, Ed.Scolastiche Mondadori, 1994.
Pointe d’’obsidienne
Carte de la Sardaigne prénuragique : 1) Néolithique de Santo Stefano ; 2) Culture des cercles d’Arzachena (a- b) et d’Olbia (c) ; 3-47) Culture de San Michele -San Gemiliano
Arzachena, Li Muri, Tombes circulaires de l’âge du Cuivre dans des grottes naturelles, où l’on trouve aussi de nombreux squelettes (Lilliu).
Domus de Janas de Montessu  
Domus en Barbagia  
Domus de l’éléphant. 
Tombe des Géants de Coddu Vecchiu, près d’Arzachena-1
Tombe des Géants de Coddu Vecchiu, près d’Arzachena- 2 et 3
Carte de la culture de Bunànnaro
Carte de la culture de Monte Claro
Voir sur Youtube la fabrication du pane carasau