Quelle politique de réforme : l’expérience italienne des années 1960-1970 - suite
'APRES LES ELECTIONS
Au delà de la formation des « giunte difficili », comme on les appelle en Italie, (ce sera le cas de
Milan, Gênes, Naples, de plusieurs villes d'Emilie et de Toscane, etc.), d'autres problèmes vont se
poser maintenant. (Pour la province de Milan, voir le schéma en fin d’article).
Le fléchissement électoral de la Démocratie-Chrétienne va obliger celle-ci à faire en son sein la
clarification que l'on a attendue en vain des dernières assises nationales. Le centre-gauche ne peut
progresse r que s'il s'engage plus résolument encore dans la voie de la « programmation » et des
réformes de structures ; c'est à cette condition qu'il peut « dégeler » l'électorat de gauche. Cela exige
que la D.C. renonce à ses propres ambiguïtés ; les syndicalistes et le courant de « base » l'ont
souligné dans un texte publié le 28 novembre.
Du côté socialiste, on recommence à parler d'« unité socialiste ». Analysant les élections, M. Saragat,
du P.S.D.I., déclarait le 24 novembre : « Dans l'ensemble, le gouvernement ne sort pas affaibli des
élections. Il se pose cependant le problème de la réorganisation unitaire des forces socialistes qui
croient dans le lien indissoluble entre socialisme et démocratie... Un tel processus renforcerait la
politique de centre-gauche. » M. Cattani, du P.S.I.. a repris le thème le 2 décembre, soulignant que le
problème actuel était celui de l'unité entre les forces socialistes qui ont des perspectives semblables
sur les points essentiels, mais que ce serait « vouloir ne rien faire » que de parler de l'unité de tous
ceux qui se réclament du socialisme : « Il ne s'agit pas de réunir tous les socialistes, mais ceux qui
ont des idées communes sur une certaine base idéale et politique, c'est-à-dire le P.S.I. et le P.S.D.I.
En particulier il n'est pas question, a-t-il ajouté, de parler, comme le font les communistes, de « parti
unique de la gauche ».
Nous suivrons ces questions dans P.S. Signalons en terminant que, une fois de plus, la presse
française aura peu ou mal informé ses lecteurs sur la situation italienne 5 . On relèvera, entre autres, l'étonnant écho du Nouvel Observateur, qui occupe
un peu moins d'une demi-colonne, et qui commence par ces mots : « Après avoir enterré toutes les réformes prévues à son programme initial, la coalition
de centre-gauche a subi, dimanche dernier, un revers spectaculaire... ».
Jean GUICHARD.
5. Sinon Le Monde qui, après son bon numéro spécial du 17 novembre sur l'Italie, a donné une information objective, mais dont on peut déplorer la
faiblesse des commentaires de son envoyé spécial à Rome.
5. - Pourquoi l’élection du Président de la République italienne fut si longue : une étape dans la réalisation du
centre-gauche (Perspectives Socialistes, n° 81, février 1965, pp. 31-34)
Il y a des deux côtés des Alpes beaucoup d'indignation sur la longueur de l'élection présidentielle italienne : on a évoqué la crise de la IVe République
française, durant laquelle, remarquait-on, aucun président ne fut aussi difficile, à élire.
Mais les lecteurs français de la presse de droite ou de gauche, ne connaîtront que peu de choses sur le déroulement exact du scrutin 1.
1. La préparation de l'élection
Il faut rappeler d'abord dans quel contexte politique se présentait l'élection du 16 décembre :
* d'abord, un vaste mouvement de la droite pour imposer à l'opinion un candidat qui soit « au-dessus de la lutte politique », « au-dessus des partis
», « arbitre impartial », etc., ce qui était une façon de manifester son hostilité au centre-gauche, et sa volonté d'aboutir à une solution « modérée ».
L'argument avancé était qu'il fallait élire un « modéré » pour rétablir « l'équilibre » avec le gouvernement de centre-gauche à participation socialiste,
comme ce fut le cas pour Segni en 1962. La campagne de presse de la droite fut d'autant plus violente, qu'elle pesait moins au Parlement (109 voix).
* La Démocratie-Chrétienne disposait d'une majorité relative (399 voix), mais insuffisante pour lui permettre de faire élire seule un des siens (alors
qu'il ne lui manquait que 28 voix en 1962 pour avoir la majorité absolue, il lui en manquait 82 en 1964) ; elle était donc obligée de s'allier avec d'autres : la
droite ? la gauche ? En 1962, il lui fut encore possible de s'allier à la droite pour faire élire Segni tout en acceptant pour la première fois un ministère de
centre-gauche ; en 1964, la même opération serait apparue comme un complet renversement de vapeur. Le 12 décembre, elle prenait la décision d'un
candidat unique de la démocratie chrétienne, décision qui ne fut respectée ni par la droite ni par la gauche du parti : ce fut la première indiscipline. Le 15
décembre, M. Leone était désigné comme candidat officiel.
* Le PSI, le PSDI et le PRI s'étaient dès le départ entendus sur le nom de M. Saragat, précisant bien que cette décision ne recouvrait aucune
discrimination envers les catholiques, mais un choix politique.
* Enfin le PCI était lui-même divisé sur la tactique à suivre, entre Amendola et Longo ; autre élément d'incertitude qui ne pouvait se clarifier qu'après
plusieurs tours de scrutin.
2. Première phase : la valse des candidats démo-chrétiens
Dès le premier tour, il manque à Leone 71 voix démocrates chrétiennes ; au deuxième il lui en manque 86, parmi lesquelles 53 vont à Fanfani (gauche), 8
à Taviani et 6 à Scelba (droite). Les autres formations votent de façon compacte pour leur candidat.
C'est donc une confrontation interne à la Démocratie-Chrétienne qui s'annonce. Elle se confirme au quatrième tour, qui voit le retrait de Taviani et Scelba,
et l'apparition de Pastore, autre candidat de la gauche DC, qui obtient 12 voix. Il manque maintenant 109 voix DC à Leone (290 voix) et Fanfani obtient
117 voix, la masse de ses voix nouvelles venant du PSIUP (36 voix) qui décide de voter pour lui afin d'accentuer la cassure interne de la Démocratie-
Chrétienne, opération sans issue : Fanfani n'a que 71 voix DC, et il lui faudrait donc l'appui de la droite pour être élu. Certains hommes de droite y songent
d'ailleurs, espérant ainsi faire élire un candidat par les deux oppositions de droite et de gauche au gouvernement actuel.
3. Deuxième phase : la tentative de centre-droit, repoussée grâce à une large frange de la démocratie-chrétienne
Au dixième tour Leone a 299 voix, malgré l'appui apporté par les libéraux, et malgré les appels de l'Osservatore Romano, organe du Vatican, à l'unité· des
catholiques. Fanfani en a 123 (son maximum était 132 au huitième tour), Pastore en a 40 ! Saragat a abandonné depuis le septième tour ; Nenni, leader
du PSI est par contre candidat, il obtient 96 voix, soit la totalité des voix socialistes. Par contre le PSDI, le PRI et le MSI s'abstiennent.
4. Troisième phase : la candidature de « transition » de Nenni
Au douzième tour, coup de théâtre toute la droite, PLI, PDIUM et MSI, décide de voter pour Leone qui n'obtient malgré cela que 401 voix. Il lui manque
donc 105 à 110 voix DC, votes blancs ou dispersés sur divers noms (dont celui du sénateur Montini, frère du Pape !...). Ainsi, toute une frange de la DC
marque jusqu'à l'indiscipline ouverte son refus d'une opération de droite sur le tour d'un démo-chrétien, et ceci, malgré les menaces de sanctions de la
direction du Parti, qui manifeste elle aussi sa gêne de l'appui des néo-fascistes.
Là se marque aussi le progrès accompli depuis 1962 où toute la démocratie chrétienne avait accepté les voix PLI-MSI et PDIUM pour faire élire Segni.
Au quatorzième tour, Leone a 406 voix. Il y a 141 votes blancs ou nuls.
Nenni en obtient 353, c'est-à-dire les votes du PSI, du PRI et du PCI. Ce dernier justifie son vote dans un communiqué qui déclare notamment : « Cette
décision vise à faciliter une ultérieure convergence de toutes les forces démocratiques et de gauche, afin de donner au pays un président de la
République qui en interprète la volonté de renouveau, selon la ligne tracée par la Constitution républicaine ».
Au dix-huitième tour, Leone a disparu, Nenni a 380 voix (PSI - PSIUP - PCI) ; il propose de se retirer, à condition que soit assurée une majorité sans
exclusive sur le nom d'un autre candidat de centre-gauche ; la DC refuse, en se déclarant incapable d'assurer plus de 200 voix à Saragat, et en
maintenant l'exclusive contre le PCI. Par ailleurs, Saragat est à nouveau candidat présenté par le PSDI et la DC, avec 311 voix (Le PRI s'abstient) : il lui
manque donc 130 voix DC ou PSDI.
Parallèlement, des contacts sont pris entre le PSDI et le PCI. La Démocratie-Chrétienne refuse de prendre en considération le communiqué commun issu
de la rencontre : l'obstination continue ; l'irritation se traduit par une sanction contre deux députés de la gauche DC, coupables d'avoir publiquement
refusé de voter pour Leone (MM. Donat-Cattin et De Mita).
5. La décision : l'élection de Saragat
Au vingt et unième tour, Saragat est élu par 646 voix (56 voix vont au PLI, 40 au MSL et il y a 162 votes blancs nuls ou dispersés, dont les 35 PSIUP, les
DC de droite et certains partisans de Fanfani).
Avant le vote, le Président avait fait appel au vote de tous les partis démocratiques et antifascistes sans exclusives. La Démocratie-Chrétienne avait dû
accepter, pour sortir d'une impasse que son hésitation initiale à prendre clairement position avait contribué à créer.
6. Conclusions
On peut tirer plusieurs conclusions de cette élection :
a) ECHEC DE LA DROITE. L'impossibilité d'une coalition de droite a .été confirmée, de façon sans doute définitive. Il suffit de lire les vociférations et
les insultes de la « presse de droite » envers le Président du Conseil (« reptile venimeux et insinuant de la politique italienne ») pour saisir l'ampleur de
cet échec.
b) CONFIRMATION DU CENTRE-GAUCHE. L'impossibilité d'une coalition qui ne· . comprendrait que la gauche a été aussi confirmée. La seule
majorité actuellement possible est celle du centre-gauche. L'obligation où a été la Démocratie-Chrétienne, d'accepter les voix du PCI ouvre la porte à de
nouveaux développements politiques de la formule, à condition que les communistes abandonnent - comme ils ont déjà su le faire pour cette élection leur
stupide ligne d'attaque systématique du centre-gauche et des socialistes.
c) EVOLUTION DE LA DEMOCRATIE CHRETIENNE. Il est apparu clairement que le monopole politique que la
Démocratie-Chrétienne avait conservé pendant près de quinze ans n'existe plus. Le sort de l'Italie ne se joue
plus dans les luttes internes des rangs démo-chrétiens. De plus, l'intervention du Vatican n'a pas été
publique, en dehors d'une note de L'Osservatore Romano, et s'il y a eu des interventions -personnelles
auprès de Fanfani pour l'amener à renoncer à une candidature de « division », le Pape par contre n'est pas
intervenu (à la différence de Pie XII autrefois). En tout cas, le poids du Vatican n'a rien changé, c'est le moins
qu'on puisse dire.
De plus, les luttes internes de la Démocratie-Chrétienne sont maintenant apparues au grand jour, et les
courants de gauche ont pu s'affirmer publiquement. Celui de Forze Nuove (Pastore) qui représente 20 % du
parti a déjà annoncé qu'il retirait son appui à l'actuelle direction, ce qui l'obligera à se marquer plus il gauche
pour retrouver une majorité qu'elle ne peut plus réaliser seule (46 % des voix). Le problème doit se régler
dans le prochain Conseil national.
Le courant de Forze nuove propose que ce Conseil débute par un débat de fond entre les différents courants,
et envisage que, à l'issue de ce débat, se constitue un « cartel des gauches démo-chrétiennes », c'est-à-
dire entre Forze Nuove et le courant de M. Fanfani, Nuove Cronache. C'est également dans ce sens que la
majorité du Congrès des jeunesses démocrates chrétiennes, vient de conclure. De plus, M. Pastore pose
comme condition de discussion le retrait des sanctions contre les deux députés de la gauche DC : sinon, les
représentants du courant menacent de se retirer et du gouvernement et du Conseil national.
d) VERS L'UNITE SOCIALISTE.
La pratique du centre-gauche et l'élection de Saragat contribuent enfin à débloquer le PSDI de l'immobilisme
où il était souvent resté entre 1948 (date de la scission PSI-PSDI) et 1962. Ses positions se rapprochent de
celle du PSI : le problème de J'unité est à nouveau posé, mais de façon plus concrète qu'il y a cinq ans.
De même, le Conseil national du Parti Communiste Italien a laissé apparaître, nettement cette fois,
l'opposition entre la direction du parti menée par M. Longo, qui a finalement imposé le vote pour Saragat, et la
tendance menée par M. Ingrao qui aurait préféré le vote pour M. Fanfani, dont M. Longo pensait au contraire
qu'il aurait brisé l'unité qui commence à se réaliser entre forces « laïques » et « catholiques ». Par là, la
direction du PCI a implicitement et pour la première fois reconnu la validité de l'expérience actuelle de centre-
gauche, tout en poursuivant par ailleurs la polémique contre le PSI : il n'y a pas de « raccourci » vers le
socialisme, il y a la voie lente et difficile d'une progressive démocratisation des structures du pays.
Ainsi, l'un des objectifs de la politique de centre-gauche que s'était fixés M. Nenni, se réalise peu à peu :
contraindre à l'évolution les forces politiques italiennes, et en premier lieu la Démocratie-Chrétienne, qui vient
de subir sa première grande défaite et qui est maintenant acculée aux choix politiques clairs que réclame sa
gauche revigorée.
Le centre-gauche sort renforcé de cette élection, et la présence d'un socialiste à la Présidence de la
République ne pourra que l'encourager à poursuivre son difficile travail. Nous devons le suivre avec attention
et sympathie : il est une des voies concrètes au socialisme.
Jean Guichard
1. Le Nouvel Observateur, pour n'en prendre qu'un exemple, aveuglé par son hostilité de principe au Centre-gauche, n'a su voir dans cette élection
qu'une nouvelle preuve de l'intervention du Vatican dans la vie politique italienne, ce qui est absurde, comme nous le verrons tout à l'heure.
6. - Réalités italiennes Juillet 1974
Voici venu le temps où quelques millions de touristes vont s'élancer vers l'Italie. Ils passeront à Milan, à Venise, à Ravenne, à Florence, à Rome, éviteront
Naples où courent encore quelques rumeurs de choléra, et se concentreront sur les plages moins polluées de l'Adriatique. Ils s'attarderont de trente
secondes à deux minutes devant quelques tableaux célèbres, histoire de dire qu'ils les ont vus. Quelques photos sur fond de Saint-Marc ou de Saint-
Pierre ...
Et ils seront passés à côté de l'essentiel, loin du « pays réel », loin des Italiens vivants, atteints tout au plus par un retard de courrier, ou par quelque grève
d'employés de Musées - Caricature ? C'est pourtant bien le comportement moyen de la plus grande partie des touristes étrangers en Italie. Avant de partir,
allez donc, par exemple, voir le dernier film de Fellini, Amarcord. Il vous portera d'emblée au coeur de cette Italie que les touristes ne voient généralement
pas, l'Italie des petites villes provinciales qui n'a trouvé une dimension nationale et universelle qu'à travers le cléricalisme et le fascisme ; c'est cette Italie
qui n'en finit pas de mourir, dont Visconti fournit une autre image dans ses grands films nostalgiques de la civilisation sicilienne ou vénitienne à son
couchant ; depuis Napoléon, Venise meurt, et elle est toujours là, un peu plus engloutie mais toujours la même, malgré des prévisions scientifiques qui
laissent froids les vieux Vénitiens. Pendant ce temps, une autre Italie se développe, celle d'Antonioni, de la Nuit ou de Désert Rouge, celle de la grande
industrie capitaliste, en même temps que celle des grandes luttes ouvrières, – la classe ouvrière n'est pas encore au paradis ! –, ou des rivalités entre
quelques managers, qui ne reculent pas toujours devant le meurtre, comme en témoigne l'affaire Mattei (assassiné en 1962, peut-être par la mafia
exécutant la commande des monopoles du pétrole).
A) La montée d'un nouveau fascisme
Les balles n'effleurent généralement pas les touristes, et les bombes n'éclatent pas encore dans les grands musées. Ne croyons pas pour autant que le
fascisme n'est qu'un mot, un slogan de discours politique ! En Italie, le fascisme tue régulièrement ; depuis cinq ans, le meurtre est sa méthode préférée
de lutte politique, en même temps qu'i1 tente de se donner une façade légale et parlementaire, ce qui justifie l'appel pressant de M. Rumor, Président du
Conseil (D.C.) 1, le 27 juin dernier: « Combattre toute tentative de retour au fascisme est, pour l'État démocratique, un devoir constitutionnel ».
La D.C. porte cependant quelques lourdes responsabilités dans cette renaissance du fascisme. C'est une histoire qui mérite d'être racontée. À partir de
1948, après l'exclusion des ministres communistes du gouvernement, la D.C. gouverne à peu près seule dans le cadre d'alliances dites de « centre droit »
; c'est l'euphorie, le « miracle économique » italien ; à l'abri économique de l'aide américaine, sous la protection étroite et vigilante des Etats-Unis, le
capitalisme italien se relève de la guerre, prend son nouveau visage et se place souvent au premier rang des grandes entreprises européennes ; la force
du mouvement populaire, retrouvée dans la résistance au fascisme et au nazisme, impose à ce développement néo-capitaliste un cadre démocratique
sanctionné par la nouvelle Constitution : « l'ltalie est une République démocratique fondée sur le travail ». Il va donc falloir intégrer au régime une partie de
ce mouvement; avec la bénédiction du Vatican où l'intransigeance atlantique et anticommuniste de Pie XII fait place à l'ouverture et au « dialogue » de
Jean XXIII, la D.C. accepte la constitution de gouvernements de « Centre-Gauche », avec la participation de représentants du P.S. I., du P.S.D.1. et du
P.R.1. 2, après une tentative de collaboration avec le M.S.1. 3 , qui provoqua une violente réaction populaire.
Mais, avec l'année 1964, arrive la première récession économique et la première crise du Centre-Gauche ; en Grèce, les colonels se préparent ; en Italie,
commencent à courir des bruits de coup d'État militaire ; un fascisme nouveau se manifeste alors, prenant un peu les Italiens par surprise ; on y retrouve,
dans une formule nouvelle, d'anciens fascistes, des néonazis, des industriels, des magistrats nostalgiques de l'ordre fasciste, des officiers de carabiniers,
des généraux qui utilisent déjà les services de contre-espionnage pour ficher tous les dirigeants et militants importants des partis de gauche, des
syndicats, voire du clergé, qu'il serait nécessaire d'arrêter ou de réduire à l'impuissance au lendemain d'un coup d' État.
B) La stratégie du « double péril »
Il faut aussi légitimer aux yeux de l'opinion cette offensive de « l'ordre nouveau ». A partir de 1968 et de l' « automne chaud » de 1969 (un puissant
mouvement revendicatif ouvrier,!e début des « grèves sauvages »...), on crée systématiquement le mythe d'un « péril rouge », on dresse le spectre d'un
nouvel anarchisme menaçant de mettre l'Italie à feu et à sang. En décembre 1969, une bombe éclate dans une banque de Milan : 17 morts, de nombreux
blessés ; on accuse les anarchistes ; l'un d'entre eux, Pierre Valpreda, est arrêté ; un autre, Pinelli, se « suicide » en se jetant par la fenêtre de la
Préfecture de Milan où il est interrogé. En mars 1972, l'« éditeur rouge », Jean-Jacques Feltrinelli, est trouvé mort au pied d'un pylône électrique que,
parait-il, il tentait de faire sauter ; deux mois après, le Commissaire Calabresi, celui qui « interrogeait » Pinelli, est assassiné : aucun doute, c'est une
vengeance des anarchistes ! Chaque fois qu’un crime est commis, les services politiques des Préfectures de police laissent entendre dans leurs
communiqués qu'il s’agit d'actions subversives d’extrémistes « rouges ».
Il faudra quatre ans d'efforts acharnés de la gauche, d'enquêtes courageuses menées par quelques journalistes (comme Camilla Cederna 4, Giorgio
Bocca, etc.), d'interventions d'avocats et de magistrats « démocrates » pour démolir peu à peu le mythe : on sait aujourd'hui que Valpreda est innocent
et que l'attentat de Milan est l'oeuvre de néo-fascistes infiltrés dans un groupe anarchiste ; beaucoup de doutes s'accumulent sur le « suicide » de Pinelli ;
il est probable que Feltrinelli a été assassiné par des néo-fascistes; on vient d'arrêter les trois assassins (néo-fascistes) du commissaire Calabresi ; on a
beaucoup de raisons de croire que les « Brigades rouges », coupables récemment de crimes et d'enlèvements, dissimulent en réalité des « brigades
noires » néo-fascistes * ; et la récente bombe de Brescia, placée sur le passage d'une manifestation antifasciste, porte, elle aussi, la signature fasciste. On
pourrait multiplier les épisodes.
La vérité est donc maintenant connue, mais le procès de Valpreda traîne dans l'ambiguïté, et le résultat est la création, dans la tête des Italiens, d'un autre
mythe, celui du « double danger : péril rouge anarchiste, péril noir fasciste ». On parle de la « double piste », rouge et noire, de la nécessité d'une double
lutte contre l'extrême gauche et contre l'extrême droite. G. Bocca a même remarqué d'étranges séries de coïncidences destinées à entretenir dans une
opinion, désormais intoxiquées, l'idée du double péril :
– 3 mars 1972 : le juge Stiz dénonce la « piste noire », identifie les fascistes comme véritables responsables des attentats attribués jusqu'alors aux
anarchistes ; 15 mars : découverte du cadavre de Feltrinelli ; 17 mai : assassinat de Calabresi. Piste noire, piste rouge !
– 24 mars 1973: arrestation d'un fasciste notoire, Ponzi ; 7 avril : arrestation d'un autre fasciste Azzi, porteur de plastique, dans un train ; 13 avril :
bombe fasciste lancée contre un agent de police, – Piste noire. Le 15 avril : incendie dans la maison d'un dirigeant M.S.I., la Préfecture de Police met en
cause l'extrême gauche ; mais un « anarchiste» jette une bombe devant la Préfecture de Milan, – Piste rouge. L'« anarchiste » se révèle être un faux, néo-
fasciste dissimulé : peu importe, l'impression de balancement est créée.
– Juin 1974 : bombe fasciste à Brescia ; quelques jours après : deux fascistes assassinés à Padoue – Par qui ? par les « Brigades Rouges », laisse-
t-on entendre à la Préfecture de Milan 5. Lesdites brigades se révèlent être plutôt « noires ». Peu importe : piste noire, piste rouge ! Mon père, gardez-
vous à droite ...
Qui a entretenu le mythe ? Qui en profite ? Qui accepte depuis des années que des généraux figurent dans des manifestations néo-fascistes, que des
dossiers s'enterrent ou disparaissent au Ministère de l'Intérieur, que des magistrats continuent à défendre et à pratiquer des codes fascistes jamais abolis
? Il faut bien reconnaître que la Démocratie-Chrétienne a fait sa soupe dans cette marmite Ia. Quel meilleur moyen de garder le pouvoir que d'entretenir
les masses dans la conviction que la seule façon d'éviter l'horreur des deux périls extrêmes, c'est de rester au centre, c'est-à-dire dans l'aile protectrice de
la D.C. ? Quel argument plus fort pouvait maintenir dans l'immobilisme les classes moyennes, où les 15 millions de plus de 45 ans formés par le fascisme
à un anticommunisme viscéral, et à la peur de tout ce qui ressemble à une transformation sociale et à un mouvement populaire ?
Entre le fascisme et une partie de la D.C., il y a d'ailleurs un lien plus profond. Dans les périodes de crise, l' « intégralisme » catholique s'est toujours
retrouvé d'accord avec les groupes qui se représentent comme défenseurs de la tradition, de l'ordre social, de la patrie, de l'armée et des « valeurs
morales », ces groupes fussent-ils fascistes ; et lorsqu'il le faut, le « compromis historique » entre l'Église et le fascisme, symbolisé par le Concordat de
1929, se renouvelle aisément.
C) Une opération politique : le référendum pour l'abrogation de la loi sur le divorce
Il s'est renouvelé récemment dans l'opération du référendum anti-divorce. Rappelons les faits : en 1970, le Parlement italien adopte une loi instituant ce
que l'on appela le « mini-divorce » 6, qui venait modifier le régime antérieur qui ne reconnaissait que la « séparation » des conjoints. Aussitôt les secteurs
de droite des milieux catholiques lancèrent l’idée d'un référendum populaire 7 pour abroger la loi infâme ; combattue par la gauche, par les libéraux, par la
L.I.D. 8 ; l'idée n'enthousiasme guère de nombreux secteurs de la D.C. ; plusieurs prélats de la Curie romaine déconseillent au Pape d'intervenir en ce
combat douteux.
Amintore Fanfani 9 se fait alors peu à peu le dirigeant d'une tendance dure favorable au référendum, qui va peu à peu mobiliser l'appareil de la D.C., les
anciens « Comités Civiques », l'Action Catholique, les paroisses et l'ensemble de l'épiscopat, qui s'engage finalement dans la bataille. Seul allié politique
de la D.C. : le M.S.I., les néofascistes. Quand on analyse cette conjoncture, on est légitimement porté à penser que les raisons politiques ont été plus
fortes que toutes les raisons morales et religieuses. Dans le climat actuel de crise économique et sociale, l'idée d'un pouvoir fort progresse dans un certain
nombre de milieux d'affaires italiens. On a souvent parlé d'une tentation de « gaullisme » italien dont M. Fanfani serait précisément le héros. Le divorce a
paru être l'occasion rêvée de battre la gauche parlementaire, de redonner une majorité aux tendances les plus « intégralistes » de la D.C., et, M. Fanfani
étant au pouvoir, de transformer peu à peu le régime parlementaire en un régime plus musclé, de type présidentiel, restaurant l'autorité de l'État contre les
partis, les syndicats, et les mouvements contestataires de toutes sortes. Une fois de plus, l'idéologie catholique de la famille aurait servi de ciment à une
opération politique réactionnaire ; grâce à elle, on pourrait ressouder la petite et moyenne bourgeoisie, la paysannerie et une partie de la classe ouvrière
autour d'un État fort, restaurateur de l'ordre social nécessaire au bon fonctionnement des grands monopoles publics 10.
On sait que cette opération a échoué misérablement : le « non » au référendum l'a emporté par une majorité de près de 60 % (19 093 929 voix contre 13
188 184 voix pour le « oui ») 11
D) Un courant nouveau dans l'Église italienne : les « catholiques du non »
Le double échec de l'Église et de la D.C. marque sans doute une rupture importante dans l'histoire de l'Italie, dans l'évolution des rapports entre l'Église et
l'État, dans la vie de l'Église italienne elle-même. Le succès du « non » est dû en effet d'abord à des raisons politiques : la cohésion de la gauche, le
réflexe du camp « laïque » 12 face à l'offensive massive de l'Église contre le divorce, la réaction contre le fascisme et ce que l'on appelle ouvertement en
Italie le « clérico-fascisme » 13 ; mais l'élément nouveau est incontestablement l'apparition d'un courant inexistant jusqu'alors, que l'on a appelé les «
catholiques du non ».
Un nouveau pôle se manifeste donc dans une Église qui, en Italie, apparaissait jusqu'alors très monolithique, aussi bien sur le terrain religieux que sur le
terrain politique, étant donné la faveur exclusive accordée par l'Église hiérarchique à la Démocratie Chrétienne. On remarquera cependant que, quelle que
soit la dureté des paroles du Pape et des Évêques contre ces catholiques qu'ils reconnaissent aujourd'hui être « nombreux » (« non pochi », a dit le Pape
dans son allocution du 14 mai), aucune excommunication n'a été prononcée ; certains prélats, comme le Cardinal Poletti, Vicaire de Rome, ont même pris
avec humour le succès du « non » dans la ville de Rome (1 146 075 « non » contre seulement 538 156 « oui ») : « Je croyais qu'iI pleuvait, a-t-iI déclaré,
et non que c'était le déluge ». Si la réprobation est donc totale, elle se mêle paradoxalement à une reconnaissance de fait que le « non » était un choix
tout à fait compatible avec l'appartenance à l'Église. La logique voudrait alors que les sanctions canoniques prises contre certains ecclésiastiques soient
levées rapidement.
Maintenant les « catholiques du non » s'organisent, ils ont convenu de poursuivre leur travail sous des formes qui vont se préciser peu à peu, à travers
l'action ou des colloques, comme celui qui les a déjà réunis quelques jours après le référendum du 12 mai. Un tel phénomène aura sans doute pour la vie
italienne des conséquences importantes, tant au niveau politique que religieux, en particulier dans le développement de la lutte antifasciste.
Jean GUICHARD. (7 juillet 1974,) (Paru dans À l’Écoute du Monde, juillet 1974)
(1) D.C. = Démocratie Chrétienne. Pour ne citer que le dernier en date des crimes fascistes, le 25 juin dernier, un conseiller municipal communiste,
promoteur d'un Cercle Antifasciste, a été tué dans la rue, en public, à coups de pistolet par un militant fasciste connu, puisqu'il figurait parmi les candidats
néo-fascistes aux dernières élections municipales.
(2) P.S.I. = Parti Socialiste Italien (Nenni, De Martino). P.S.D.I. = Parti Socialiste Démocratique Italien (Saragat). P.R.I. = Parti Républicain Italien (La
Malfa).
(3) M.S.I. = Mouvement Social Italien ; l'étiquette recouvre le parti néofasciste, toute reconstitution du parti « fasciste » étant constitutionnellement interdite
en Italie.
(4) Cf, son ouvrage Piste Noire, Piste Rouge., traduit dans la collection 10/18).
(5) Cf. Il Giorno, 27 juin 1974.
(6) La loi du ler décembre 1970 prévoit une dissolution du mariage lorsque « la communion spirituelle et matérielle des conjoints ne peut être maintenue
ou reconstituée », dans l'un des cas suivants : (1) quand l'un des conjoints a été condamné : a) soit à plus de 15 ans de bagne, b) soit pour délit commis
sur un descendant ou un conjoint, ou pour incitation d'un descendant ou d'un conjoint à la prostitution, c) soit pour homicide volontaire ou tentative
d'homicide sur un descendant ou un conjoint, d) soit à une peine de détention avec deux ou plusieurs condamnations, pour délits commis aux dépens du
conjoint ou des enfants ; (2) a) quand l'un des conjoints a été acquitté pour débilité mentale totale de l'un des délits prévus en b) et c) de (1), b) quand la
séparation est de fait ou a été prononcée par le juge, depuis au moins 5 ans, c) en cas de non-lieu prononcé dans les délits prévus en b) et c) de (1) si le
juge « estime que subsistent les éléments constitutifs et les conditions de sanction des délits eux- mêmes, d) en cas de procédure pénale pour inceste
terminée par un acquittement pour manque de scandale public », e) quand l'autre conjoint a obtenu le divorce à l'étranger ou y a contracté un autre
mariage, f) quand le mariage n'a pas été consommé.
(7) Une loi peut être abrogée par un référendum ; celui-ci doit être demandé par au moins 500 000 citoyens, électeurs inscrits.
(8) L.I.D. = Ligue Italienne pour le Divorce.
(9) Un des principaux dirigeants de la D.C., actuellement son Secrétaire Général.
(10) On peut noter que cette carte politique, jouée par M. Fanfani, était plus celle des Monopoles d'État que des monopoles privés, du moins les plus
importants. Des hommes comme M. Agnelli, directeur de la FIAT. misent plus sur le libéralisme, l'intégration politique de la classe ouvrière, la
reconnaissance des syndicats dans l'entreprise, etc. Or, c'est la tendance qui l'a emportée, à l'issue de la lutte très âpre qui l'a opposée aux tendances
conservatrices à l'intérieur de la Confindustria (organisation patronale italienne, équivalent du C.N.P.F.) .
(11) « Non » au référendum voulait dire « oui » à la loi sur le divorce, et inversement. Rien n'avait été fait pour faciliter le travail des partisans du divorce et
la clarté du vote !
(12) En faveur du « non » outre le P.C.I., les deux partis socialistes et le parti Républicain, est intervenu le parti libéral, parti de la droite classique, mais
partisan, depuis l'unité italienne de la laïcité de l'État, selon la formule de Cavour : « l'Église libre dans l'État libre ».
(13) Il faut ajouter que la propagande des « antidivorcistes » prévoyalt depuis des mois une avalanche de causes de divorce, une course à la rupture du
lien matrimonial, un processus irréversible de dissolution des familles. Or, les Italiens se sont servi avec prudence de la nouvelle loi : en 3 ans, 90 000
divorces accordés, dont la majorité concernait des couples mariés civilement avant le Concordat de 1929 (qui crée le blocage en donnant des effets civils
au seul mariage religieux). La loi ne fut pas le mal absolu : on ne gagne rien à crier « au loup » !
* Nous ne sommes qu’en 1974, et les Brigades Rouges sont encore un phénomène récent mal analysé, en un temps où cette dégradation de l’extrême
gauche vers une lutte armée désespérée n’apparaît pas encore clairement ; l’assassinat d’Aldo Moro date de1978 (Note du 25 août 2016).
7. - Les Italiens ont voté, 1976
1 - Analyse des résultats
a) Les déplacements de voix
Quatre phénomènes sont immédiatement perceptibles dans les résultats du 20 juin 1976 :
– Affaiblissement du Centre et de l'Extrême droite : deux groupes de partis perdent un nombre important de voix. D'une part, l'Extrême Droite
néo-fasciste qui perd 2,6 '% de ses voix par rapport à 1972, soit près d'un tiers ; d'autre part, les trois petits partis laïques du Centre, P.L.1. (de 3,9 à 1,3
%), P.R.1. (maintien de ses voix mais perte d'un siège), P.S.D.1. (de 5,1 à 3,4 %).
– Récupération de ses voix par la D.C.: La D.C. passe de 38,8 à 38,7, c'est-à-dire qu'elle maintient ses voix, malgré la quantité de scandales
publics qui lui est imputable, et la profondeur de la corruption que tous lui reconnaissent. En réalité, ce maintien traduit un déplacement des voix vers la
Droite et le Centre. Pendant toute la campagne, les leaders D.C., en particulier M. Fanfani, ont appelé les électeurs du M.S.I. à reporter leurs voix sur la
D.C., meilleur rempart contre le communisme ; l'appel a été entendu. Par ailleurs, la D.C. avait pris soin de renouveler une partie de ses candidats, grâce
aux militants du mouvement « Communion et libération », plus jeunes, moins compromis dans les scandales et idéologiquement plus orthodoxes, plus
fidèles défenseurs de la doctrine sociale chrétienne et d'un certain « intégrisme » catholique. La D.C. tend à devenir le grand parti conservateur de l'Italie.
– Progrès du P.C.!. : Le P.C.I. passe de 27,2 à 34,4 %. C'est un grand succès qui confirme celui des régionales de 1975. Le P.C. a définitivement
rompu son isolement, mordu sur les voix catholiques, grâce aux candidats catholiques indépendants présents sur ses listes. Il recueille les fruits d'une
politique à la fois dynamique et plus « démocratique » tant dans sa pratique intérieure que dans sa politique internationale. Il ne sera plus possible de
gouverner en dehors d'un parti qui recueille plus du tiers des suffrages.
– Apparition parlementaire de. l'Extrême Gauche : Pour la première fois en Italie et en Europe, l'Extrême Gauche, jusqu'alors appelée «
extraparlementaire », conquiert 6 sièges à la Chambre, auxquels il faut ajouter les 4 du parti radical.
b) L'attitude de l'Eglise
Les résultats sont d'autant plus remarquables que l'épiscopat italien et le Vatican se sont engagés à fond dans le soutien de la D.C. Il n'est pas de jour où
l'Osservatore Romano, quotidien du Vatican, n'ait publié des articles condamnant l'attitude des catholiques de gauche ; des sanctions ont été prises
contre les prêtres qui ont pris position pour la gauche. Ainsi Don Isidoro Rosolen, candidat non élu sur les listes D.P., a été suspendu. Par contre, Don
Olindo dei Donno, candidat élu du M.S.I. néo-fasciste, n'a été l'objet que d'un rappel à l'ordre de son évêque, au nom du Concordat. Quant à Don
Franzoni, ex-abbé bénédictin de Saint-Paul, à Rome, il a été appelé par Mgr Poletti, cardinal-vicaire de Rome, à choisir entre son adhésion au P.C.I. et
son statut de prêtre. Deux poids, deux mesures : on peut être prêtre et fasciste, mais pas prêtre et de gauche. C'est le blocage qu'ont voulu briser les
catholiques candidats sur les listes communistes. La communion ecclésiale continue à être mise en rapport avec l'unité culturelle et politique des
catholiques dans la D.C. ; aux « chrétiens pour le socialisme », on commence à opposer le mouvement « chrétiens pour le christianisme », qui a
fortement soutenu la D.C. ; le Concile Vatican Il n'a pas été très bien assimilé à Rome !
c) La représentation des femmes
L'une des caractéristiques du précédent Parlement était le petit nombre de femmes : 29 sur 945 parlementaires. Les dernières élections portent au
contraire au Parlement une soixantaine de femmes, dont 44 au P.C.I. (34 à la Chambre, 10 au Sénat), 10 à la D.C., 1 au P.S.I., 2 au Parti Radical (sur 4
élus), 1 à D.P. et 1 au P.R.I. (Susanna Agnelli, sœur du patron de la Fiat).
Le doublement de la représentation féminine au Parlement est sans doute le résultat de la pression exercée depuis plusieurs années par les mouvements
féministes et par les luttes de masse des femmes, sur des problèmes comme le divorce, le statut de la famille, l'avortement, ou la reconnaissance d'une
égalité réelle entre les sexes : égalité économique (à travail égal, une femme est encore aujourd'hui moins payée qu'un homme), égalité sexuelle, etc. ...
Il est probable que' cette présence féminine va pousser très rapidement le nouveau Parlement à adopter des lois laissées en suspens par la dissolution de
l'ancien. En premier lieu sera certainement votée la légalisation de l'avortement, qui a maintenant une majorité parlementaire (seule les démocrates-
chrétiens et les néo-fascistes voteront contre, soit 298 voix sur 630). Il faudra s'attaquer ensuite aux problèmes d'emploi : à la grande masse des femmes
sans qualification et sans travail professionnel est venu s'ajouter un million de femmes qui ont perdu leur emploi à cause de la crise.
d) Le vote des jeunes
Pour la première fois en Italie, les jeunes de 18 à 21 ans étaient électeurs, pour la Chambre des Députés ; l'âge minimum pour l'élection des sénateurs
restait de 25 ans. On peut donc se faire une
idée du vote des 18-25 ans en comparant les
pourcentages obtenus par les partis à la
Chambre et au Sénat.
On peut constater que les voix des jeunes se
sont donc portées pour une part importante à
l'Extrême Gauche et à la Gauche, et dans une
moindre mesure aux petits partis laïques du
Centre-gauche.
D.P. trouve en particulier 475 000 voix sur
555 000, soit plus de 80 %, parmi les moins
de 25 ans ; le Parti Radical y trouve, quant à
lui, un quart de ses voix ; le P.C.1. gagne près
de 2 millions de voix parmi cette couche
d'électeurs, soit environ 17 '% de ses voix ; le
P.S.D.I., 270 000 voix, soit environ 20 % de
son électorat ; le P.R.I., 289 000 voix, soit
environ 25 '% de ses voix.
D'un autre point de vue, la D.C. et le P.C.I. se
partagent 70 % des voix jeunes, l'Extrême Gauche en totalise plus de 10 %, les petits partis laïques plus de 10,1% également, les socialistes moins de 6
% et l’Extrême Droite un peu plus de 3 %.
2 - l'avenir politique
Tandis que se négocie le choix des présidences et des postes de ministres, une seule certitude peut être dégagée : si la D.C. a terminé son règne, la
Gauche n’a pas encore conquis le sien, et nul ne voit comment sortir de l’impasse politique que tracent les résultats du 20 juin. Aucune coalition
traditionnelle ne dispose de 51% au Parlement et toutes se traduiraient par un éclatement de la D.C. ou de l’un des composantes de la coalition : le
Centre droit avec l’appui des néo-fascistes est impossible car il provoquerait l’éclatement de la D.C. à gauche ; le Centre gauche est récusé par les
Socialistes ; le compromis historique provoquerait l’éclatement de la D.C. à droite.
Il faudra pourtant bien sortir de cette impasse par un accord politique clair ou un Gouvernement « d'urgence » pour régler les principaux problèmes en
cours. Et la doctrine sociale chrétienne et l’anticommunisme forcené se révéleront impuissants à fournir la moindre solution pratique. Les masses
italiennes n'attendront plus très longtemps une
réponse concrète à leurs questions.
Jean GUICHARD,
1" juillet 1976.
(Chronique Sociale -À
l’Écoute du Monde, juillet 1976)
RECTIFICATIF
Le schéma donnant les résultats des élections de 1968 à 1975 a été rendu complètement incompréhensible par des fautes d'impression. Il fallait lire:
Jean Guichard (À l’Écoute du Monde, Juillet 1976).
Rappelons que Monde Ouvrier fut l’hebdomadaire du Mouvement de Libération du Peuple dans les années 1950 ; Perspectives Socialistes fut le
mensuel de recherche du MLP puis de l’UGS, puis devint indépendant après la création du PSU en 1960 ; les revues Chronique Sociale et À l’écoute
du Monde furent les publications de la Chronique Sociale de France, association catholique de Lyon.