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 Francesco CIABATTONI, La citazione è sintomo d’amore, Cantautori italiani e memoria letteraria, Carocci Editore, 2016
Compte-rendu  : Francesco CIABATTONI, La citazione è sintomo d’amore, Cantautori italiani e memoria letteraria, Carocci Editore, 2016,   17€ (La citation est symptôme d’amour. Auteurs-compositeurs-interprètes italiens et mémoire littéraire) Francesco Ciabattoni est professeur d’Italien à l’Université Georgetown de Washington où il enseigne la littérature et l’interaction entre musique et littérature. Il vient de publier chez Carocci, le grand éditeur romain, un ouvrage sur le monde littéraire caché dans les chansons de six cantautori, Roberto Vecchioni, Francesco Guccini, Angelo Branduardi, Fabrizio De Andrè, Francesco De Gregori et Claudio Baglioni. Il recherche les réminiscences, allusions, évocations ou citations littéraires présentes dans les textes de ces auteurs-compositeurs-interprètes. Depuis longtemps (toujours  ?) on s’interroge sur les rapports existants entre musique et littérature, et j’y avais consacré de longs textes dans mon livre publié en 1999 par Champion, La chanson dans la culture italienne, des origines populaires aux débuts du rock, et dans mon article de la revue Franco-Italica n° 12, La chanson est-elle la forme moderne de la poésie  ?, en montrant que la chanson était une forme autre que la poésie, parce que synthèse «  indéshabillable  » de poésie, musique, voix et spectacle. Le point de vue de Ciabattoni est différent, il recherche les allusions littéraires contenues dans les chansons, et c’est une problématique intéressante et très instructive sur l’inspiration de la chanson d’auteur. Il précise d’abord des questions de méthode, se référant aux mécanismes de citation distingués par Antoine Compagnon, «  ablation, soulignement, accommodation et sollicitation  », qui seront plus ou moins reconnus selon les connaissances culturelles des auditeurs. Mais il souligne que l’auditeur peut ne pas être un «  expert  », il peut ne pas comprendre l’allusion faite à un auteur littéraire, la chanson n’en reste pas moins une forme d’art légitime. L’expert éprouvera simplement un plaisir plus grand quand il reconnaîtra l’allusion, mais le plaisir de la chanson restera toujours autre que celui qu’éprouve le simple lecteur de poésie ou le simple auditeur de musique. Et Ciabattoni se réfère à l’expression de Mogol qui dit que la citation est «  un véritable symptôme d’amour auquel nous ne savons pas renoncer  ». Il va donc distinguer les chanteurs qui mettent en musique sans rien y changer, comme Branduardi quand il chante un passage du Paradis de Dante ou le Triomphe de Bacchus et Ariane de Laurent de Médicis, de ceux qui procèdent simplement par réminiscences plus ou moins conscientes ou par imitation. Dans le premier cas, il aurait pu citer le beau travail de Stefano Palladini et Nazario Gargano. Pour le second, il va étudier avec prudence le résultat de ces allusions dans les chansons de nos six auteurs  : comment les allusions vont-elles enrichir le texte et créer plus «  d’excitation  » chez l’auditeur  ? «  Avec prudence  »  : c’est-à-dire en évitant l’erreur souvent commise de dévaloriser la chanson en cherchant à la qualifier par rapport à la  «  poésie  »  ; c’est pourquoi tant de cantautori ont toujours refusé de se définir comme  »poètes  ». Ciabattoni ajoute à juste titre que, dans les années ’70 et ’80, les cantautori voulaient aussi se distinguer d’une «  poésie  » considérée comme élément caractéristique de la culture dominante qu’ils contestaient par ailleurs, et il cite Vecchioni, Venditi, Bertoli, De Gregori, Guccini ou Edoardo Bennato (il aurait pu évoquer son ironique Sono solo canzonette). Et pourtant il arrive que les cantautori fassent parfois l’hypothèse qu’ils ont été des poètes. Problème complexe, qui est aussi question de temps et de société, dont Ciabattoni fait une brève histoire  ! On lira donc avec intérêt son introduction méthodologique. On peut regretter par contre qu’il ne consacre pas plus de pages à chaque cantautore, et qu’il n’analyse pas un plus grand nombre de leurs chansons, 9 pages pour Vecchioni, un peu plus pour chacun des cinq autres. Mais nous avons apprécié ses analyses de  Samarcanda et des Lettere d’amore, reprises de Pessoa, mais qu’on peut écouter avec autant d’émotion même si on ne connaît pas Pessoa. De Guccini, Ciabattoni analyse Auschwitz, soulignant l’influence de Primo Levi, celle de Kerouac pour Fra la via Emilia e il West, ou celle de Spielberg pour  Autogrill. Il recherche d’autres allusions visibles dans les titres (Signora Bovary, Gulliver, Cirano…) ou moins apparentes  : Allen Ginsberg dans Dio è morto, J.D. Salinger dans La collina, parmi les nombreuses références américaines de Guccini et d’autres cantautori  ; il reprend aussi des choses plus connues comme la référence à Gozzano dans l’Isola non trovata ou les références à des poètes italiens du Moyen-Âge dans la Canzone dei dodici mesi  (Chanson des douze mois) (Cenne da la Chitarra et Folgore da San Gimignano) ou de la Renaissance (Poliziano). Il parle ensuite de l’influence, incertaine et «  conjecturale  », de Fortini sur Il vecchio e il bambino, et il termine sur les nombreuses références littéraires de Odysseus (Homère, Dante, Foscolo, Leopardi), malheureusement sans les analyser de façon précise, et se contentant de citer le texte. Le chapitre sur Guccini est un peu décevant. Pour Branduardi, on lira avec intérêt les remarques sur l’influence des textes étrangers et gréco-latins, dont Ciabattoni souligne avec raison leur présence chez de nombreux cantautori qui reprennent parfois, dit-il, des textes entiers, en les modifiant ou non  ; il aurait pu analyser à ce propos le disque de Giorgio Gaber, Dove andare, Canzoni satiriche su testi di antichi poeti latini sul sesso e la politica (Où aller, chansons satiriques sur des textes de poètes latins anciens sur le sexe et la politique), Scaccomatto, Vedette Records, 1981, sur des textes d’Ovide, Caton, Juvénal, Properce et autres, avec des notes explicatives sur les auteurs. De De André, Ciabattoni explique les modes d’inspiration poétique, en «  saccageant  »   des textes d’auteurs divers au rythme de ses nombreuse lectures, Alvaro Muttis, Stefano Benni, Calvino, etc., De André étant un des rares dont on possède la bibliothèque dont les livres sont annotés de la main du compositeur. Il donne plusieurs exemples de ré-élaboration d’un texte par De André (Par exemple La provincia dell’uomo de Canetti) dans la composition de sa chanson. Il note ainsi chez cet athée qu’était De André l’influence des Évangiles apocryphes et de Jacopone da Todi dans La buona Novella  : il voyait dans le Christ le plus grand révolutionnaire de tous les temps. Ciabattoni analyse aussi la production de chansons par De André à partir de la littérature médiévale (Cecco Angiolieri, Ronsard, Villon) ou des chansons de Brassens qu’il traduit ou réécrit en italien en leur donnait une signification plus anarchiste. On détient là une source d’inspiration essentielle  de De André : ses lectures. Une analyse plus nouvelle de Ciabattoni est celle de La guerra di Piero, en référence au Dormeur du val de Rimbaud et à L’avvoltoio de Calvino chanté par Cantacronache et à d’autres auteurs. Le chapitre sur De Gregori, «  le plus engagé sur le plan civique dans la catégorie des cantautori  » et très influencé par l’hermétisme des poésies de Bob Dylan (p. 93), précise aussitôt  : «  La stratégie allusive des textes de De Gregori présente des évocations et des renvois littéraires difficilement perceptibles à l’œil nu (mais l’italien dit «  a orecchio nudo  » =  oreille nue  !) mais quelquefois de grande importance pour le sens de la chanson  » (ibid.). Et il prend l’exemple des références à Pavese dans Alice et Pablo. Ciabattoni procède ensuite à une intelligente analyse du disque Titanic (1982), – dont il décrit les références souvent inattendues, comme celles de Jacopone da Todi et de Franz Kafka  – et de la chanson Generale (1978) en référence à Hemingway. Il compare la chanson La storia (1985) et la poésie de Montale du même titre, montrant leurs différences de lecture de l’histoire, et mettant en lumière l’inspiration gramscienne du cantautore, et cependant le plus grand optimisme et utopisme de celui-ci, complétant son propos par l’évocation de la discussion entre Montale et Pasolini que De Gregori chérissait (voir sa chanson A Pa’).  Ciabattoni termine son chapitre en analysant la référence à Max Klinger dans la chanson de De Gregori Un guanto. Il conclut ce chapitre riche par cette remarque  : «  Tandis que pour Vecchioni et Guccini sont fréquents les cas  de références évidents et immédiatement reconnaissables (un titre, le nom d’un protagoniste, une strophe entière de Pascoli), pour Francesco De Gregori, la citation immédiatement identifiable est vraiment un cas exceptionnel  » (p. 110). C’est cet hermétisme et ces renvois implicites à tant d’autres auteurs qui rend pour nous les chansons de De Gregori si riches et parfois si difficiles à interpréter. Le dernier chapitre de Ciabattoni est consacré à Claudio Baglioni et à ses «  collages  ». On peut s’étonner qu’il ait consacré son plus grand nombre de pages (une trentaine) à ce chanteur qui ne nous semble pas être un des plus grands, et on aurait préféré qu’il nous parle de Lucio Dalla, de Piero Ciampi, de Gaber, de Cantacronache ou de quelques autres, mais c’est le choix de l’auteur, sans doute séduit par le caractère «  romain  » de Baglioni et par ses reprises de Garcìa Màrquez, de Pasolini, d’Elsa Morante ou de Mario Luzi, dont il fait une analyse intelligente et souvent nouvelle, ainsi que d’une probable référence à Gozzano dans Carillon (1975). Dans sa brève conclusion, Ciabattoni résume son propos sur les six cantautori, et il pose la question  : la chanson d’auteur est-elle assez autonome pour se passer d’allusions, de ponts avec la tradition littéraire «  savante  » ou populaire  ? En tout cas, cela invite  à considérer autrement l’œuvre des cantautori, «  comme un réseau dans lequel il arrive souvent qu’un texte soit mieux compréhensible s’il est mis en relation avec d’autres  », textes littéraires ou autres chansons. Ce n’est pas valable pour toutes les chansons, mais cela invite «  les antennes de l’auditeur à s’affiner et à s’entraîner à reconnaître les possibles rappels cachés, libérant l’excitation d’une lecture qui porte à reconnaître la citation  » (p. 146). Cet ouvrage important pour mieux comprendre la chanson se termine par une discographie des six cantautori et par une bibliographie d’ouvrages italiens, anglais, français (très peu sont cités, dommage  !) sur les chanteurs et les auteurs cités. Un bel appel à poursuivre la recherche, … après avoir écouté et goûté les chansons italiennes.                                              Jean Guichard, 14 janvier 2017 (Carocci Editore, Corso Vittorio Emanuele II, 229, 00186, Roma. E-mail  : www.carocci.it)
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