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Quelle politique de réforme : l’expérience italienne des années 1960-1970
Quelle politique de réforme : l’expérience italienne des années 1960-1970 Dans notre pays, le gouvernement parle beaucoup de « politique de réformes », mais il rencontre plein de difficultés dès qu’il essaie de réaliser plus que de promettre. Et certaines prévisions de réformes provoquent des mouvements de masse comme les « Gilets Jaunes ». Il faut alors se demander quel est le contenu véritable de ces « réformes » : ne sont-elles pas purement technocratiques, de transformation qui ne répondent qu’à une nouvelle technologie ? À qui profitent-elles vraiment ? Est-il vrai qu’elles ne favorisent que les riches et ne défavorisent que les pauvres ? ou en d’autres termes, que souvent les médias se refusent à employer, mais qui correspondent bien à une réalité sociale, qu’elles ne favorisent que les classes dominantes et possédantes contre les classes dominées, ouvriers, petits paysans, petites classes moyennes, petits commerçants, etc. ? C‘est à chaque Français à se poser ces questions. Pour nous, nous avons pensé utile pour notre réflexion de rappeler cette époque de la vie politique italienne où les socialistes du P.S.I. avaient décidé de passer un compromis avec la Démocratie Chrétienne pour promouvoir une politique de « réformes » qui devaient pour eux déboucher à petits pas sur une transformation sociale radicale, un changement des rapports sociaux de production, de consommation, d’échange, en somme sur une « révolution ». Malgré quelques réussites au début, ce fut finalement un échec qui conduisit le P.S.I. à devenir le parti le plus corrompu du système et à disparaître à partir de 1994. Pourquoi ? On constate que ce fut non seulement à cause d’une opposition très forte de la droite patronale, des formations néofascistes et des États-Unis, mais aussi à cause de l’hostilité de la gauche communiste et de l’extrême gauche. Les conditions parlementaires auraient pourtant pu permettre des opérations positives (est-ce le cas aujourd’hui chez nous ? Il ne semble pas, comparez les chiffres). Mais les communistes du P.C.I. combattirent cette tentative, ils la firent échouer provoquant l’affaiblissement du P.S.I. après quoi ils proposeront pourtant à la D.C., un « compromis historique» semblable lorsqu’ils auront un peu plus tard une importance électorale plus grande que celle du P.S.I. : leur refus n’était-il donc qu’une opération électorale ? Réfléchissons bien à tout cela, peut-être serions-nous conduits à conclure qu’une majorité comme celle de La République en Marche, composée surtout de personnalités de droite et du centre (les deux ministres les plus à gauche, Gérard Colomb et Nicolas Hulot ont finalement décidé de jeter l’éponge), ne peut pas réaliser une véritable  politique de réformes, ce qui expliquerait des mouvements comme les « Gilets Jaunes ». Il y aurait besoin sur ce point d’une réflexion de fond, théorique et politique, se fait-elle vraiment ?                                               Jean Guichard, 3 janvier 2019 1. - La crise ministérielle en Italie (Monde Ouvrier, 3 juin 1957) J’étais depuis longtemps en rapport avec l’Italie, du fait de mes études, et j’avais très tôt lu Gramsci et Gobetti dans le texte, alors que les traductions françaises de Gramsci étaient filtrées par le P.C.F. et par son dirigeant culturel Roger Garaudy qui en faisait un léniniste classique. Gobetti m’avait aussi beaucoup marqué par sa « révolution libérale ». Chaque fois que j’allais en Italie, je rencontrais des militants communistes, socialistes et syndicalistes de la C.G.I.L., des intellectuels comme Raniero Panzieri des Quaderni Rossi, je discutais beaucoup avec eux et leur parlais de ce que faisait le Mouvement de Libération du Peuple (M.L.P.), cela les intéressait. Jusqu’en 1978, je participe à des rencontres et à un colloque à Milan avec la gauche du Parti Socialiste Italien (P.S.I.), où je suis le seul représentant du Parti Socialiste Unifié (PSU), ce qui veut dire que les contacts du PSU avec l’Italie étaient très réduits. Je retrouve cet article de Monde Ouvrier de 1957, c’est-à-dire d’une époque où, en Italie, se pose le problème de l’unification (la réunification) entre le Parti Socialiste Italien dirigé par Pietro Nenni et le Parti Socialiste Démocratique (P.S.D.I.) formé après la scission du palais Barberini du 10 janvier 1947 et dirigé par Giuseppe Saragat, et, en France, les projets d’unification entre la Mouvement de Libération du Peuple et la Nouvelle Gauche pour former l’Union de la Gauche Socialiste et plus tard le PSU. Les réticences des socialiste italiens m’étaient évidemment précieuses par rapport aux miennes vis-à-vis du rapprochement avec la Nouvelle Gauche, et en 1957, je fais le point sur la question dans Monde Ouvrier, où j’étais le seul à écrire sur la situation italienne. J.G. 7 février 2017 La crise ministérielle que connaît depuis 15 jours l’Italie a d’autres causes plus profondes que la démission de M. Saragat de la Vice-Présidence du gouvernement Segni. Elle s’inscrit dans toute une évolution qui marque peu à peu la décadence de ce que l’on a appelé le  « centrisme », symbolisé par le quadripartisme Démocrates-Chrétiens, Libéraux, Sociaux-démocrates et Républicains, qui dure depuis 1948. Peut-être en mettant en place un ou plusieurs ministères qui se contenteront d’expédier les affaires courantes va-t-elle ouvrir une période de transition, qui permettra de mûrir une des données les plus importantes de la politique italienne : le renforcement du mouvement socialiste, en qui réside la seule possibilité pratique de progrès, si l’on mise sur la détente internationale, – donc l’impossibilité d’une poussée communiste, – et sur la démocratie, donc l’impossibilité  d’un « salazarisme italien » que risquerait d’apporter une Démocratie Chrétienne disposant d’une majorité absolue. Depuis l’entrevue de Pralognan, entre Nenni et Saragat en septembre 1956, le renforcement semblait passer par la réunification du Parti Socialiste italien (P.S.I.) et du Parti Socialiste Démocratique italien (P.S.D.I.). Or, depuis 6 mois, Saragat n’a fait vers l’unification que des pas de « crabe » : récemment encore, il a posé au P.S.I. des ultimatums que celui-ci ne peut pas accepter. La position de Saragat est au fond tout aussi schématique que celle des communistes. Le Parti Communiste Italien (P.C.I.) dit : « Ou totalement avec nous ou totalement avec la réaction » ; Saragat à l’autre bout affirme : « ou rupture totale avec les communistes ou pas d’unification socialiste  » : entre ces deux absolus il faut reconnaître que la position de Nenni n’est pas facile : il occupe cette place délicate de tout innovateur, violemment attaqué par tous les « conservateurs » de droite et de gauche qui condamnent, au nom des « principes », toute réalité nouvelle. Il y a un peu là une sorte de querelle entre les «  classiques » et les « modernes ». À Saragat qui l’accuse d’« opportunisme », Nenni répond très justement en refusant « les grandes et mythiques antithèses entre le bien et le mal, la liberté et la dictature, le matérialisme et le spiritualisme, le collectivisme et l’individualisme, etc. … Ce sont là les chevaux de bataille des grands inquisiteurs et des grands épurateurs (y compris les rouges). Ce sont les haridelles de la rhétorique bon marché des Mac Carthy et des Scelba ; elles servent à justifier les sales pratiques des discriminations ; elles servent à préparer ou à justifier les guerres froide ou chaude, les meurtres et les tueries ». « Les principes acquièrent une valeur quand ils se transforment en action, quand ils se  traduisent dans cette politique des choses qui est la pierre de touche des classes, des partis, des hommes. Aucun d’entre nous ne songerait à nier la valeur des principes. Mais nous sommes tous désireux de les voir marcher les pieds sur terre ». Mais cette « politique des choses » ne peut pas aller sans une formulation idéologique plus élaborée encore et plus capable de se condenser en des mots d’ordre clairs et simples susceptibles d’être largement suivis par les masses. Il est un fait que depuis près d’un an, le P.S.I., loin de recueillir les fruits attendus de la politique d’unification et de la modification des rapports avec le P.C.I., perd un peu de la faveur des électeurs dans toutes les élections partielles : perte de 0,3% à Gorizia le 16 décembre 1956, de près de 50% le 25 février (où la liste commune P.S.I.- P.S.D.I. n’a recueilli que la moitié des suffrages de 1952), d’environ 50% à Crémone le 24 mars, et d’environ 20% à Rimini le 31 mars. Nenni a reconnu dans l’Avanti du 7 avril qu’il y avait là un symptôme non négligeable. La politique actuelle du P.S.I. est sans doute juste, mais elle comporte aussi une certaine subtilité qui n’a pas encore pénétré les grandes masses populaires portées à voir dans l’unification plus qu’un compromis politique une compromission avec des forces plus ou moins conservatrices, ainsi qu’en témoignent les votes de Saragat au Parlement sur la question des baux ruraux ou sur la nomination de M. Giuseppe Togni au Ministère des Participations d’État (NDR-2017 : Gouvernement Segni, 6 juillet 1955-20 mai 1957). Il semble que le P.S.I. soit en train de remédier à ces difficultés par un double travail d’approfondissement et de clarification. Un jeune intellectuel socialiste nous disait l’an dernier à Rome qu’il regrettait l’insuffisance de travail dans son parti sur les questions théoriques et « culturelles » dans leur ensemble. On peut constater, à la lecture de Mondo Operaio, que le P.S.I. cherche à combler cette lacune ; alors qu’il tend plutôt à resserrer l’unité d’action avec le P.C.I. sur le plan syndical et municipal, il semble se différencier plus nettement des communistes par un travail intense sur le plan idéologique et culturel, où ses positions sont souvent très loin de celles du P.C.I. Citons dans les derniers numéros de M.O. les « Notes pour un examen de la situation du mouvement ouvrier » de Raniero Panzieri (janvier 1957), le compte-rendu de l’ouvrage de Lukacs, le philosophe hongrois, « La lutte entre progrès et réaction dans la culture d’aujourd’hui » (février 1957), l’essai de E. Agazzi sur « Socialisme et vérité » (avril 1957) 1, et de façon générale l’intérêt porté au problème d’une culture socialiste qui ne soit pas réduite au simple rang d’instrument politique. La même réflexion est menée sur le problème d’un syndicat qui, restant un des outils de la libération ouvrière, ne doit pas être pour autant une simple «  courroie de transmission » entre le parti et les masses. Toutes ces recherches vont à l’encontre de la théorie classique, justifiant la pyramide État-guide, sur le plan international, et dans chaque nation, parti- guide, « identifié avec l‘avant-garde révolutionnaire de la classe ouvrière et dépositaire de la vérité révolutionnaire » (R. Panzieri, op.cit. p.38), et faisant dépendre par conséquent l’action culturelle et syndicale de la tutelle étroite du Parti. C’est par rapport à la théorie communiste quelque chose de « fondamentalement nouveau » 2 et dont le contenu démocratique répond aux besoins de nombreuses couches du peuple et des intellectuels italiens. C’est  quelque chose qui est aussi éloigné d’ailleurs du « réformisme » des sociaux-démocrates : ce n’est pas de la « social-démocratie  » mais de la « démocratie révolutionnaire ». Quoi qu’en disent les communistes, il y a plus qu’une nuance : il y a toute l’option de classe, réaffirmée dans la motion finale du Congrès de Venise, qui anime le P.S.I. À travers tout ce travail visant à ouvrir à tout le mouvement ouvrier italien des perspectives radicalement nouvelles – qui est son but depuis près de deux ans –, le P.S.I est amené à remettre en cause la politique d’unification telle qu’elle a été menée jusqu’à présent. Le thème des quatre articles de tête du dernier numéro de Mondo Operaio est celui-ci : nous avons été trop vite ; nous avons tout subordonné à des exigences « tactiques » ; la voie de l’unification est désormais fermée ; nous n’aurions pas dû négocier avec Saragat  ; l’unification ne peut être envisagée qu’avec l’aile gauche du P.S.D.I. ; comme l’écrit Emilio Lussu : «  Que celle-ci fasse son devoir et nous le nôtre. Nous verrons à la fin si nous sommes mûrs pour appartenir à un même Parti : le P.S.I. ». L’entrevue de Pralognan appartient maintenant à l‘Histoire, échec non d’une politique, mais des méthodes mises en œuvre pour la réaliser. Le P.S.I. entreprendra seul la tâche qu’il voulait faire progresser par l’unification. Ses problèmes majeurs seront sans doute, dans la période de calme politique que risque d’ouvrir le Ministère Zoli jusqu’aux élections de 1958, de faire face aux problèmes posés par le recul de la C.G.I.L. aux élections syndicales dans les grandes entreprises, de formuler plus clairement l’idéal d’une nouvelle «  morale  », d’une nouvelle «  culture  » socialiste et de donner de nouvelles structures au Parti et au mouvement socialiste pour que puissent s’y intégrer toujours plus largement les militants des entreprises ou des milieux intellectuels. Car, confronté à l’idéal moral et culturel du mouvement communiste, nullement en faillite après les événements de Hongrie, et à l’idéal des démocrates chrétiens qui fondent, comme le disait récemment le Président Gronchi, « la vie individuelle et sociale sur les valeurs idéales issues de leur formation religieuse et spirituelle » – le mouvement socialiste, en Italie comme ailleurs, n’a de chances de s’affirmer qu’en élaborant sa propre culture et sa propre morale, qui, sur une base de laïcité, puissent faire appel aux aspiration les plus profondes et les meilleures des hommes. 1.  Nous reviendrons sur les sujets de ces articles dans un prochain numéro de Perspectives Socialistes. 2. Ces thèses ont trouvé un écho chez certains militants communistes qui se sont exprimés au VIIIe Congrès du P.C.I. le 8 décembre 1956, assez vivement  combattus par Togliatti, à qui pourtant Roger Garaudy reproche de ne pas avoir été assez net sur certains points (Cf. Cahiers du Communisme, janvier 1957). Jean Guichard 2. - Après le congrès du P.S.I. (Perspectives Socialistes, n° 66, novembre 1963, pp. 28-30) Le 35 e  Congrès national du Parti socialiste italien vient de s'achever. Il a redonné à Pietro Nenni la majorité qui lui avait été refusée en juillet dernier par le Comité central, sur le même problème : celui du soutien d'un gouvernement de centre gauche. En un sens, le choix qui était demandé au P.S.I. rappelait quelque peu celui qu'il eut à faire en 1923. Deux ans après la scission de Livourne, qui devait donner naissance au Parti communiste italien, le IVe congrès de l'Internationale communiste, à Leningrad (Petrograd) lançait au P.S.I. un « ultimatum » en quatorze points, l'invitant à fusionner avec le jeune P.C.l., après avoir exclu tous ceux de ses adhérents qui seraient hostiles à cette fusion, pour former un « Parti communiste unifié d'Italie ». Le leader du P.S.l., Giacinto Menotti Serrati (1872-1926), invita alors son parti à accepter ces quatorze points : « Au front unique de la bourgeoisie, les socialistes doivent opposer leur front unique. L’union des deux partis socialiste et communiste est la première condition indispensable de ce front unique ». Le même jour, l'Avanti publiait un article de son rédacteur en chef, Pietro Nenni (1891-1980), qui s'opposait à cette « liquidation» du parti », « sans aucun bénéfice ni pour l'Internationale, ni pour le prolétariat ». C'est cette position qui l'emporta au congrès national qui suivit. - Quarante ans plus tard, la « gauche » du P.S.!. continue à prôner une politique d'alliance avec le Parti communiste. Nenni lui oppose une affirmation de l'« autonomie » totale du P.S.I., et sa volonté d'une stratégie autonome, qui le conduit à demander que le P.S.I. continue à accorder son soutien à la politique de « centre-gauche » (c'est-à-dire d'un gouvernement « bourgeois », composé de la gauche de la Démocratie- chrétienne (DC), du Parti socialiste démocratique (PSDI) et du petit Parti Républicain (PR). Car une autre expérience pèse sur Nenni : celle du fascisme. Et sans doute n'est·il pas loin de penser que si, en 1922, les socialistes avaient accordé leur soutien à un gouvernement « bourgeois », au lieu de se retirer sur « l'Aventin » avec les autres forces d'opposition, la montée du fascisme aurait pu être enrayée. Et il craint aujourd'hui que, si les socialistes se retirent, ce ne soit, pour la démocratie italienne, le début d'une déchéance analogue à celle de la France, qui conduirait le pays à une sorte de « gaullisme » autoritaire. Et il est exact que, si les socialistes ne soutiennent plus l'expérience de centre- gauche, celle-ci devient impossible ; or, comme un gouvernement de centre-droit n'est pas plus pensable qu'un gouvernement communiste-socialiste, c'est l'impasse probable, la dissolution, de nouvelles élections et qui sait quelles aventures, dont les socialistes porteraient une . lourde part de responsabilités. À cela, la « gauche » du P.S.I. répond par le rappel d'une autre expérience : la collaboration des socialistes avec des gouvernements bourgeois les a toujours menés à l'échec et a ouvert la voie à la dictature, que ce soit en Allemagne, avant le nazisme, ou en France, avec la déchéance de la S.F.I.O. Cela est-il vraiment à craindre ? Si l'on veut dire que le P.S.I. prend des risques en poursuivant l'expérience amorcée il y a deux ans, on énonce une évidence et une banalité : on ne fait pas de politique sans en prendre. Plusieurs choses inclinent par contre à plus d'optimisme. 1) Le P.S.I. est un parti de masse assez solidement implanté (on lui donne de 600.000 à 700.000 adhérents) 1, et jouissant entre autres de l'appui de la tendance socialiste organisée dans la C.G.I.L. (équivalent. italien de la C.G.T.). On ne pouvait en dire autant de la S.F.I.O. en 1956 ou 1958. 2) Le P.S.I. a une doctrine politique, une stratégie d'ensemble. Il sait où il veut aller, et vers quel type de société il veut conduire l'Italie. Il sait aussi ce qu'il ne veut pas : ni l'État communiste, ni l'État bourgeois paternaliste, ni le «  socialisme distributif » à la manière des sociaux-démocrates. La Tribune libre qui précéda le congrès dans la revue du P.S.I., Mondo Operaio, fut sur tous ces points particulièrement riche. 3) Le P.S.I. a comme partenaire une gauche démocrate~chrétienne dont de nombreux éléments sont socialement et politiquement très avancés, et qui veut des réformes de structures, profondes pour le pays. Certes, cette gauche n'est pas majoritaire dans la D.C., très sensible aux appels des libéraux et du grand capitalisme, mais elle est vigoureuse, et elle ne peut que se sentir encouragée par le déroulement actuel du concile Vatican II. 4) Il y a enfin ce fait objectif que l'Italie a besoin de ces réformes profondes ; même le néo-capitalisme a besoin que de nouvelles initiatives économiques soient prises par le secteur public pour que se poursuive le rythme d'expansion rapide qu'a connu l'Italie depuis dix ans. En jouant sur ce développement de l'initiative publique, il est possible, pense Nenni, de peser directement sur les contradictions internes du capitalisme, et de procéder à des réformes irréversibles qui rapprocheront l'Italie du socialisme. Ceci dit, qu'il reste des problèmes à régler, c'est vrai. Que les conditions posées par Aldo Moro (1916-1978), le président du Conseil DC en piste, soient en-deçà de ce qu'avait fait le gouvernement Amintore Fanfani (1908-1999), c'est vrai aussi. La « gauche » du P.S.I. a joué là-dessus pour accentuer l'hésitation du congrès. Nenni, lui, compte sur la dynamique que peut créer cette expérience, pour contrebalancer ces éléments négatifs. Il est un des rares socialistes à croire encore que le socialisme, c'est le « parti du mouvement ». Rien n'est donc joué définitivement. Nenni a gagné encore une manche. L'expérience politique où il engage son parti mérite en tout cas d'être suivie avec toute la sympathie que nous pouvons éprouver pour un mouvement socialiste qui a su repenser son action, et retrouver une dynamique sur des perspectives adaptées aux réalités de cette seconde moitié du XXe siècle.                       J. G.  1.  Aux élections du 28 avril 1963, le P.S.I. a obtenu à la Chambre des Députés 4.251.966 voix et 87 sièges ; au Sénat, 3.856.088 Voix et 44 sièges. 3. - Le « testament » de Togliatti de 1964 : référence pour aujourd’hui ? Je n’ai cessé d’écrire sur l’Italie, d’analyser ce qui s’y passait de nouveau  : l’Italie restait une de nos sources d’inspiration politique et idéologique. En particulier en 1964, je publie dans Perspectives Socialistes plusieurs articles dont celui sur le dernier texte de Palmiro Togliatti avant sa mort et celui sur les raisons de la présence socialiste au gouvernement. Je me battis contre l’interprétation du texte de Togliatti par Gilles Martinet, qui visait toujours une fusion entre la SFIO et le PCF, dont il pensait que le PSU pourrait être un ciment ; il voyait donc dans le texte de Togliatti l’annonce d’une «  nouvelle naissance » qui rapprochait le Parti Communiste italien (PCI) du Parti Socialiste Italien (PSI) ; à mon avis, il se trompait fondamentalement, entraîné par une vision du monde tournée vers le passé, de plus un passé mythique. Il apparaît que, sur un autre plan, je pense alors encore comme un « chrétien » de gauche, qui critique un « marxisme » que je commence à étudier sérieusement pour mes cours à l’Institut Social et pour le livre que m’a demandé la Chronique Sociale : je confonds encore la pensée dominante chez les communistes (souvent peu « marxiste ») avec le contenu réel de la théorie marxiste. Je vais peu à peu progresser vers une autre vision du marxisme et de la religion. Mais sur le problème de la stratégie politique, je vois dans la politique de « réforme de structures » du PSI un modèle possible pour notre propre parti ; j’en avais parlé à plusieurs reprises avec Michel Rocard, lui aussi très intéressé par cette perspective. Puis, après l’entrée des Socialistes au gouvernement en 1963, vint le complot du Général De Lorenzo en 1964 (le « Plan Solo »), la mise en place de la « stratégie de la   tension » par la droite de la Démocratie Chrétienne, les attentats néofascistes, la grande réaction « révolutionnaire » de 1968 à 1977, et puis l’échec, la régression, l’erreur du passage à la violence armée, la fin d’une époque, le berlusconisme …, la fin des partis communistes et socialistes. L’échec fut dû à plusieurs causes : d’une part la réaction violente des services secrets américains et italiens et de la droite italienne contre une politique socialiste qu’ils combattaient en tant que telle et dont ils craignaient qu’elle ramène à terme les communistes au gouvernement, mais d’autre part le combat mené par les organisations communistes contre la politique socialiste considérée comme une collaboration négative avec les forces néocapitalistes. Dans ces conditions la lutte était en effet vouée à l’échec, et cela entraîna aussi la régression des socialistes et leur compromis avec le monde corrompu de la vie politique démocrate-chrétienne, sous la direction de Bettino Craxi, jusqu’à leur disparition à partir de 1992. Par ailleurs, dans le monde chrétien, l’évolution n’a pas aidé non plus la réussite de l’opération : les tendances qui luttaient pour une transformation de leur Église n’ont pas réussi, en particulier en Italie, à modifier la domination des forces réactionnaires dans le Clergé, et beaucoup ont abandonné soit la lutte soit leur «foi », faute d’avoir sérieusement pensé la réalité. Y avait-il une possibilité de réussite de la politique des réformes de structures ?  C’est encore notre problème d’aujourd’hui. Certes les rapports de force sont différents : les partis communistes ont pratiquement disparu, même si des militants existent encore en nombre : en France les communistes se sont fondus dans un « front de gauche » qui s’est ensuite fracturé, en Italie, l’ex-PCI, devenu Parti Démocrate (PD) après plusieurs fusions et transformations, se retrouve sous l’emprise d’une direction d’origine et de tendance démocrate-chrétienne (Matteo Renzi) avant de se décomposer peu à peu et de perdre sa base électorale (passée d’environ 40% à environ 17%) ; les partis socialistes sont en voie de disparition et leurs militants vont se retrouver dispersés ; il n’y a plus beaucoup de forces «  chrétiennes » assez organisées pour combattre la remontée d’un catholicisme traditionnel, politiquement de droite, en particulier en France. Quels seront les lendemains de l’élection présidentielle d’avril/mai 2017, où triomphe Emmanuel Macron avec 17% des voix (50% d’abstentions), dont les « réformes » révèlent tout autre chose qu’un changement ? Mais entre  « réforme » et « révolution », que ferons-nous  ? J.G., 23 décembre  2018 REMARQUES SUR UNE INTERPRETATION DU « TESTAMENT » DE TOGLIATTI (Perspectives Socialistes, n° 78, novembre 1964, pp. 2-8) Cet article, écrit au mois de septembre 1964, n'avait pu, pour des raisons matérielles, être publié à cette époque. Les débats suscités, en Italie comme ailleurs, par la destitution de Khrouchtchev, lui redonnent une actualité immédiate. Cet article soulignait en effet combien les ouvertures de Togliatti restaient formelles tant que les bases mêmes, théoriques et politiques, de la pensée communiste n'étaient pas remises en cause. Aujourd'hui la destitution de M. K. autorise à être sceptiques vis-à-vis de tout processus d'évolution de la société soviétique qui ne se ferait pas à partir d'un refus des principes politiques et théoriques constituant la base de cette société. « Rien n'a changé à Moscou et dans le parti communiste italien » : tel est le thème de l'introduction qui précède, dans l'Avanti du 25 octobre, la publication d'une correspondance entre Nenni et Souslov, qui date de 1956. « La valeur des documents cités réside surtout dans leur date : 3 août 1956 la lettre de Souslov ; 24 octobre 1956 la lettre de Nenni. Huit ans. Huit ans sans que rien ou presque rien ait changé dans le monde communiste, à Moscou et à Rome. A Moscou on « dé-khrouchtchevisait » comme hier on déstalinisait ; à Rome le parti communiste italien se déclare critique et préoccupé, il affirme qu'il faut approfondir, dans la théorie et dans la pratique, l' « indissoluble » lien entre socialisme et démocratie, et il envoie des délégués à Moscou pour demander des informations, comme il y a huit ans il s'était déclaré critique et préoccupé de la façon dont se faisait la déstalinisation, avait affirmé qu'il fallait faire avancer la démocratisation du parti; et avait envoyé des délégués à Moscou pour demander des informations » (Avanti, quotidien du parti socialiste italien, 25 octobre 1964). Pendant ce temps le P.S.I. s'engageait dans la politique du centre-gauche qui, malgré l'opposition toujours plus acharnée des communistes à la veille des élections municipales du 22 novembre 1964, va peu à peu de l'avant. Après la réforme du métayage, la loi sur l'urbanisme 1 est en préparation et dès décembre le Parlement aura à décider du plan de programmation économique ; d'autres réformes se préparent pour le début de l'année 1965, tandis que la situation économique s'est sensiblement améliorée. La victoire travailliste devrait renforcer ce courant en Europe ; et le premier gouvernement européen que va rencontrer le ministre anglais des Affaires étrangères est le gouvernement italien de centre-gauche, à participation socialiste. Une question cependant: d'où surgiront en France les prémices théoriques et politiques d'une telle stratégie de « réforme de structures » ? Le P.C.I. va bientôt se rallier à une politique de « compromis historique » avec la D.C., sous l’impulsion d’Enrico Berlinguer en 1973 après la chute d’Allende au Brésil et à partir du moment où il s’est renforcé électoralement, devenant plus important que le P.S.I. Mais c’est probablement trop tard, les USA ne le permettront pas et feront assassiner Aldo Moro en 1978, dans une complicité entre la C.I.A. et les Brigades Rouges. Mais en réalité, quelle différence y avait-il entre la politique de centre gfauche du P.S.I. et le «  compromis historique du P.C.I. ? Qui, en France, se donnera pour but de chercher une formule de « centre-gauche « adaptée aux conditions de notre pays ? Plutôt que de courir après des mythes comme celui de « l'unité de la gauche», c'est pourtant bien la question qu'il serait urgent de se poser.                                                                                                                                                                           J.G. 2017  1, Proche à certains égards des projets français de « municipalisation du sol ». Des deux dirigeants communistes morts pendant ces vacances, l'un a disparu en silence le 11 juillet 1964 : au lendemain de ses imposantes funérailles, on ne parle plus de Maurice Thorez qu'au passé comme d'une personnalité qui, pendant quarante ans, aura marqué l'histoire politique française ; au-delà de sa mort, il n'a laissé pour l'avenir aucun message politique ou idéologique, susceptible de donner un cours nouveau à la vie politique de notre pays. Au contraire; le second de ces dirigeants, Palmiro Togliatti, mort le 21 août 1964, a laissé derrière lui un texte que beaucoup considèrent comme une bombe à retardement. Ce que l'on a appelé son « testament », – en réalité une lettre destinée à préparer une discussion avec  M. Khrouchtchev–, a même été qualifié par Gilles Martinet de « manifeste de la réforme communiste », et salué comme un fait aussi important dans l'histoire du communisme que la rupture de Martin Luther avec l'Eglise catholique en 1520, rupture qui fut à la source du protestantisme 1. 1. - La réalité du texte de Togliatti Dans son article, parfois plein de fraîcheur et de lyrisme (« Car un autre vent vient de se lever ... C'est le vent d'ouest. C'est le vent de la liberté »), Martinet analyse six principes contenus dans le texte de Togliatti, et il y voit le point de départ d'une transformation fondamentale du mouvement communiste, allant jusqu'à envisager « la disparition des partis communistes occidentaux » au sein d'organismes regroupant tous les socialistes. De ces analyses, que reste-t-il lorsqu'on se reporte a la réalité du texte de Togliatti (publié dans Le Monde du 5 septembre 1964) ? 1. - Rien de nouveau depuis 1956 A première lecture, le « testament » contient en effet des affirmations étonnantes dans la bouche d'un dirigeant communiste, par exemple la critique de la politique et de certains aspects du régime soviétique. Il faut cependant rappeler qu'aucune des affirmations de Togliatti n'est nouvelle. La plupart datent des textes de 1954 où était proposée entre autres la formule du « polycentrisme » du mouvement communiste 2. On trouvait dans ces textes d'il y a huit ans, un exposé très cohérent de la presque totalité des thèses de 1964. « Il se crée ainsi, disait par exemple le texte de 1956, divers points ou centres d'orientation et de développement. Il se crée ce que j'ai appelé ... un système polycentrique, correspondant à la situation nouvelle... et à ce système correspondent aussi de nouvelles formes de relations entre les partis communistes eux-mêmes. La solution qui, aujourd'hui, probablement, correspond le plus à cette situation nouvelle, peut être celle de la pleine autonomie de chaque mouvement et parti communiste et des rapports bilatéraux entre eux ... » 3. Ailleurs, Togliatti insistait sur les contradictions internes des pays socialistes 4. La stratégie des réformes de structures y est déjà évoquée. Pratiquement, les seuls points nouveaux du texte de 1964 sont : a) La reconnaissance de contradictions entre pays socialistes : depuis huit ans est intervenue la rupture avec la Chine, et une tendance de certaines démocraties populaires à l'émancipation s'est affirmée (cf. Roumanie, par exemple). b) Les propositions de solution aux difficultés internes du mouvement communiste, qui répondent au problème précis de la convocation d'une conférence « anti-chinoise » des partis communistes. Substantiellement, il n'y a rien de « nouveau » dans le « testament  » de Togliatti. Récemment encore, le leader communiste avait repris plusieurs de ces thèmes dans une interview accordée à K.S. Karol, parue dans l'Express du 23 mai 1963. Il faut donc avoir la mémoire singulièrement courte pour voir dans le « testament » la « naissance d'un nouvel âge politique ». Comme tout testament, c'est peut-être le bilan d'une vie, cela n'a rien d'une nouvelle « naissance ». De là à parler de « manifeste de la réforme  » il y a de toute façon un pas qu'il est périlleux de franchir en deux pages. Avant de se référer à Luther et à 1620, faudrait-il déjà se demander si le texte de Togliatti veut préparer un « schisme » dans le monde communiste et créer une nouvelle « église », c'est-à-dire, par exemple, une nouvelle « internationale communiste » en-dehors de Moscou ? Il ne semble pas pour l'instant et c'est plutôt l'unité du monde communiste qui le préoccupe dans ce texte. Si Togliatti était mort en 1956, on aurait dit aussi que les textes que nous avons cités étaient son « testament » ! Et déjà, quand ils avaient paru, des journalistes avaient crié au miracle ... 2. - Une discussion qui traduit les difficultés d'adaptation du mouvement communiste à l'évolution du monde Si l'on examine maintenant le contenu du texte de 1964, plutôt qu'une « réforme », on y trouve l'expression des difficultés où se trouvent actuellement les partis communistes occidentaux, le parti communiste italien inclus. Les plus lucides des dirigeants de ces partis (Togliatti était de ceux-là, et il eut sans doute une exceptionnelle intelligence politique) sont conscients de cette situation, ils essaient de l'analyser et d'y trouver des remèdes ou de faire tomber les « résistances » 5. Mais ils révèlent du même coup leur incapacité de fait à surmonter les contradictions du mouvement communiste. Prenons-en deux exemples : a) Premier exemple: la « transformation de l'Etat bourgeois de l'intérieur ».  M. Togliatti a sur ce point des phrases qui lui vaudront, aujourd'hui – comme dans le passé – le mépris des     « léninistes » orthodoxes : « La question se pose de la possibilité pour les classes laborieuses, de conquérir des positions de pouvoir dans le cadre d'un Etat qui n'a pas changé sa nature d'Etat bourgeois, et de la possibilité de lutter pour une transformation progressive, de l'intérieur, de cette nature d'Etat bourgeois ... Voilà la question fondamentale qui se pose aujourd'hui dans la lutte politique. » Cette affirmation appelle deux remarques : 1) On ne peut pas à la fois affirmer que l'Etat bourgeois et le capitalisme ont gardé leur « nature » d'Etat bourgeois et de régime capitaliste 6, mais pourtant qu'ils se sont transformés au point de permettre au mouvement communiste de s'y intégrer pour « transformer cette nature de l'intérieur ». À la limite cela ne pose pas qu'un problème de stratégie politique, mais introduit un doute plus fondamental sur la validité même des bases théoriques du marxisme-léninisme sur ce point 7. Pour avancer, il faut avoir le courage d'aller jusque-là. Voilà une première limite, d'ordre théorique. 2) Il en est une deuxième d'ordre pratique. En Italie, l'affirmation de M. Togliatti est un des points fondamentaux de l'analyse que faisait M. Nenni au Congrès d'octobre 1963 du Parti Socialiste Italien : « ... La voie au socialisme est la voie démocratique... c'est-à-dire la voie d'une évolution de la société, où l'objectif qui est proposé aux socialistes et aux travailleurs est de vaincre par saturation, en élargissant constamment leur sphère de présence et d'influence dans tous les domaines, politique, syndical, culturel... La théorie du pouvoir, que le parti a élaborée ces dernières années ... n'est pas celle de la conquête violente de l'hégémonie et de la dictature de parti, elle n'est pas celle de l'assaut frontal de l'Etat ... , mais celle d'une action extérieure et intérieure, de masse et parlementaire, pour empêcher que l'Etat soit monopolisé par la défense exclusive des intérêts bourgeois et capitalistes, et pour le transformer, d'instrument de conservation de tout ce qui est vieux et caduc dans la société, en instrument de libération de tout ce qui y germe de nouveau ». 8  La seule différence, c'est que M. Nenni a commencé à incarner cette perspective théorique, qu'il semble avoir en commun avec M. Togliatti. La politique de « réformes de structures », et de « transformation progressive de l'Etat de l'intérieur », c'est lui qui se bat aujourd'hui pour la réaliser au milieu des difficultés que lui créent les opposants de toutes sortes, au premier rang desquels sont les camarades de M. Togliatti. C'est confrontée à ces réalités que la thèse de Togliatti apparaît dans toute sa lucidité intellectuelle, certes, mais aussi dans toute son inefficacité politique. Cette théorie ne correspond pas à la pratique du mouvement communiste 9. Là encore, il faut avoir le courage d'aller jusqu'au bout de l'analyse : le problème qui est posé est celui de la validité même du parti communiste en tant que parti capable d'être aujourd'hui le guide de la transformation des sociétés occidentales dans un sens démocratique, et d'y assurer la promotion collective des travailleurs. L'analyse de l'action du P.C.F. confirmerait ce que nous disons du P.C.I. Il est nécessaire de relire à ce propos les développements d'Annie Kriegel sur les conditions dans lesquelles sont nés les partis communistes occidentaux : fondés en 1920 sur la certitude que la révolution était proche, ils se sont bientôt trouvés dans une situation qui n'avait rien de révolutionnaire. Ils ont pu y survivre, ils ont pu s'y développer considérablement : ils n'ont pas pu sortir de cette ambiguïté originelle, qui fait qu'aujourd'hui ce n'est pas à eux qu'il peut revenir de guider les travailleurs occidentaux sur la voie démocratique du socialisme. 10  b) Deuxième exemple : la « main tendue » aux catholiques.   M. Togliatti écrit : « Dans le monde catholique organisé et dans les masses catholiques, il y a eu au temps du pape Jean un déplacement à gauche  violent. Maintenant le sommet reflue à droite. Mais, à la base, restent les conditions et l'impulsion vers un déplacement à gauche, que nous devons  comprendre et aider. Dans ce but, la vieille propagande athéiste ne nous sert à rien. Le problème de la conscience religieuse, de son contenu, de ses  racines au sein des masses, et de la façon de la dépasser doit être posé de façon différente que dans le passé, si nous voulons accéder aux masses  religieuses et être compris par elles. Sinon, il se passe que notre « main tendue » aux catholiques est considérée comme un expédient et presque comme  une hypocrisie ». Gilles Martinet interprète ce texte comme une volonté de « renoncer à faire du matérialisme dialectique la philosophie officielle des partis ouvriers ». Par  contre il refuse l'interprétation selon laquelle les marxistes devraient « renoncer à leur athéisme ». On retrouve là les vieilles thèses de Gilles Martinet, qu'il  exprimait entre autres dans la conclusion de son ouvrage Le marxisme de notre temps : coexistence dans un même parti de travailleurs athées et  chrétiens, reprise à l'extérieur du parti de la lutte « contre la religion et contre toutes les tendances de l'idéalisme moderne » 11.   Mais rien ne permet de dire que l'interprétation de Martinet corresponde à la pensée de Togliatti. Celui-ci a en effet souvent précisé sa pensée sur ce  point. Il a affirmé en particulier à maintes reprises que la conception selon laquelle la disparition de la religion dépendait étroitement de la suppression de  l'aliénation économico-sociale, et de la diffusion des connaissances scientifiques était « ingénue et erronée » 12 ; il explique que cette conception, héritée  du rationalisme du XVIIIe siècle et du matérialisme du XIXe n'a pas « tenu à l'épreuve de l'histoire ». D'où son appel fréquemment répété, surtout au cours  des campagnes électorales, à adopter une autre attitude vis-à-vis des catholiques. Mais cela aussi appelle quelques remarques :   1) Les affirmations de Togliatti reviennent, sur le plan théorique, à remettre en cause la vision marxiste de la religion dans ce qu'elle a de plus  fondamental, car ce qu'il refuse comme « ingénu et erroné » en est le noyau. Si on veut que ces affirmations prennent une portée pratique, il faut donc, là  encore, remettre en cause une des bases de la philosophie marxiste. Togliatti n'ayant jamais été jusqu'au bout de son raisonnement (il lui arrivait  cependant d'être aussi philosophe), ou en reste à la position boiteuse qui est celle du P.C.I. 13 :   - chercher d'autres formes d'appel aux masses catholiques sur le plan politique ;   - rendre plus « intelligente », moins simpliste, la lutte idéologique antireligieuse en se servant de données sociologiques ou philosophiques plus  modernes que celles de Marx pour expliquer et combattre la conscience religieuse.   Il est probable que Togliatti s'est battu sincèrement pour éliminer de son parti toute propagande antireligieuse. Il n'aurait pu le faire qu'en l'amenant à  renoncer en tant que parti aux bases idéologiques de cette propagande : l'explication marxiste de la religion. Cela, l'eût-il voulu, il ne le pouvait pas. C'est  ce qui fait que toutes ses avances théoriques restent à peu près lettre morte 14.   2) Sur le plan pratique, le P.C.I. a retrouvé la même difficulté : de cette force politique qu'est l'organisation des catholiques italiens dans le parti  démocrate-chrétien, il n'a jamais su donner des explications claires, pour les mêmes raisons. Et il a toujours oscillé entre l'opportunisme (qui, par  exemple, lui a fait accepter, en 1946, l'intégration dans la Constitution italienne des accords signés entre Mussolini et le Vatican), et l'hostilité qui lui fait  condamner dans la démocratie chrétienne, le parti clérical, émanation du capitalisme monopoliste, etc. 15. Là aussi, dans les faits, c'est le parti socialiste  qui a su trouver la voie malaisée d'une collaboration avec les catholiques.   Ce second exemple nous confirme donc les conclusions du premier : la fameuse « réforme » n'est guère qu'une tentative lucide, mais de peu de portée,  de sortir le mouvement communiste de l'impasse où il se trouve dans les sociétés occidentales, et des contradictions qui l'agitent sur le plan international.   Conclusion : Un texte interne au mouvement communiste Texte important, nous ne le nierons donc pas. Texte symbolique, qui rassemblait une nouvelle fois avec force des thèses déjà exprimées, mais à qui la  mort imprévisible de son auteur a donné une force et un éclat particuliers. Texte qui, pour Togliatti, traduisait une recherche, dans le but d'une  confrontation avec M. Khrouchtchev, mais qui, fixé définitivement par sa mort, est devenu pour les lecteurs un testament.   Mais, texte dont l'importance reste néanmoins interne au mouvement communiste, destiné à un débat interne entre deux grands dirigeants de ce  mouvement. Cela ne veut pas dire qu'il ne nous intéresse pas, qu'il ne nous concerne pas, mais qu'il nous intéresse d'une manière différente que si nous  étions partie prenante dans le mouvement communiste. Il était important qu'un dirigeant communiste de la classe de Togliatti écrivît ce qu'il a écrit, mais il  faut bien reconnaître aussi qu'il ne nous apprend rien d'essentiel qui n'ait déjà été dit depuis près de dix ans par d'autres socialistes, comme M. Nenni,  pour n'en citer qu'un (sur la crise du camp socialiste, l'analyse du capitalisme, la stratégie des « réformes de structures », etc). Il nous intéresse donc,  mais· en quelque sorte notre intérêt reste « extérieur » : Ce n'est pas à partir de là que peut progresser notre propre pensée et notre propre action de  socialistes non communistes et non marxistes.   Jean Guichard. 8-10-1964. Note du 02 mai 2017  : les gouvernements de centre-gauche (DC, PSI, PSDI, PRI)  * Gouvernement Aldo Moro 1  : 4 décembre 1963 - 22 juillet 1964  * Gouvernement Aldo Moro 2  : 22 juillet 1964 - 23 février 1966  * Gouvernement Aldo Moro 3  : 23 février 1966 - 24 juin 1968  * Gouvernement Mariano Rumor  1 : 12 décembre 1968 - 10 août 1969  * Gouvernement Mariano Rumor 3  : 27 mars 1970 - 12 août 1970  * Gouvernement Emilio Colombo 1  : 12 août 1970 - 17 février 1972  * Gouvernement Mariano Rumor 4  : 07 juillet 1973 -14 mars 1974  * Gouvernement Arnaldo Forlani 1  : 18 octobre 1980 -28 juin 1981  * Gouvernement Giovanni Spadolini 1  :28 juin 1981 - 23-août 1982  ANNEXE Un jugement de M. De Martino, Secrétaire général du Parti socialiste italien L'Avanti du 4 octobre 1964 a publié un jugement de M. De Martino sur le « testament » de Togliatti. Il est intitulé : « Le document de Yalta : un point de départ ». Soulignant l'importance du document, dont il considère que les deux thèmes centraux sont la recherche de « l'unité » du mouvement communiste international et « l'autonomie » des partis communistes, M. De Martino note qu'il constitue « le plus grand succès des idées soutenues par le P.S.I. », et que ce résultat n'aurait pas été atteint si, au lieu de mener une polémique serrée avec le P.C.I., le P.S.I. avait suivi les scissionistes du Parti Socialiste Italien d’Unité Prolétarienne (P.S.l.U.P.), qui se contentent d'une « couverture aussi complaisante qu'inutile des positions communistes ». «  1. - UNITÉ ET AUTONOMIE PEUVENT-ELLES COEXISTER? Le problème historico-politique est de savoir si unité et autonomie peuvent coexister et s'il n'existe pas entre les deux dans l'état de choses actuel, une contradiction telle que toute action de renouveau soit stérilisée si l'on s'obstine dans la tentative de les concilier. Le conflit sino-soviétique met en évidence le heurt entre deux stratégies du communisme, qui correspondent très probablement au degré de développement différent des deux pays, et à leurs caractéristiques nationales et ethniques, même si toutes les deux prennent leur source commune dans la version communiste du socialisme scientifique, et dans sa caractéristique principale, qui est d'avoir choisi la force et la puissance comme moyens presque exclusifs de la victoire du socialisme. On lit dans le document que l'aggravation du conflit conduirait à mettre en discussion les principes mêmes du socialisme. Mais les principes sont déjà profondément mis en discussion par les faits, et il ne sert à rien de jeter sur les faits un voile de circonspection et de diplomatie pour en atténuer l'énorme force de persuasion. Une doctrine internationaliste par excellence, comme la doctrine socialiste, qui a précisément souhaité l'abolition des Etats nationaux et l'union de tout le prolétariat dans une seule patrie, se trouve aujourd'hui bruyamment contredite par les deux plus grands protagonistes du mouvement révolutionnaire mondial dans une si grande partie du monde. Comment ne pas nous sentir obligés de méditer sur les principes de notre doctrine et de rechercher non pas seulement des compromis utiles dans les rapports entre les Etats et entre les partis, mais aussi les causes effectives de ce flagrant démenti des principes ? » M. De Martino ne se résigne pas pour autant à une conclusion pessimiste sur l'internationalisme socialiste ; mais il ajoute aussitôt que les choses sont aggravées par la conception dogmatique qu'ont les Etats communistes de leurs rapports, « conception absolue, exclusive, dogmatique, système clos et rendu impénétrable aux idées des autres ... Ils ont ressuscité ... le principe qui régla les confessions religieuses dans les Etats européens, autrefois « tel prince, telle religion », exigeant de leurs sujets une conformité absolue avec la pensée de l'Etat et considérant les dissidents comme criminels et coupables. Ainsi aujourd'hui, en U.R.S.S., on n'admet pas l'existence d'une position chinoise, de même qu'en Chine on nie la légitimité d'une position soviétique. Le conflit entre les partis devient conflit entre les Etats et entraîne les peuples entiers. Comment est-il possible de concilier cette conception des rapports intérieurs et internationaux des Etats communistes et donc cette réalité politique, avec l'exigence de la démocratie, qui est par nature anticonformiste, qui ne considère pas le désaccord comme hérésie ou crime, qui ne fait pas appel au fanatisme mais à la raison et qui se refuse à transformer une position idéologique et politique en un heurt dangereux entre les Etats ? Voilà la première question à laquelle il ne semble pas que le document de Yalta donne une réponse, parce que la seule réponse possible devrait être la fin de l'identification du parti et de l'Etat, c'est-à-dire la fin de la théorie et de la pratique politique du communisme ». 2. - UNE VISION DU MONDE ACTUEL PERIMÉE Passant à l'examen du conflit sino-soviétique, M. De Martino remarque d'abord qu'il est assez utopique d'envisager que la rupture puisse être évitée, bien que lui-même ne souhaite pas le maintien des méthodes     « d'excommunication » employées jusqu'alors par les communistes. Il est d'autant plus utopique de tout subordonner à l'union des forces du communisme international comme le fait Togliatti, que cette recherche est liée « à une prévision de la situation mondiale assez pessimiste... Pour soutenir la nécessité de ne pas briser l'unité du mouvement communiste, le document part de l'opinion a priori que le monde est menacé par de graves dangers d'avancée de la droite.» Et M. De Martino conteste la probabilité d'une victoire de Goldwater, de même que l'affirmation de Togliatti selon laquelle sa candidature aurait déjà poussé tout l'Occident vers des positions réactionnaires. « De même, ajoute-t- il, le jugement selon lequel l'Occident serait engagé dans un processus de plus grande concentration monopoliste, qui aurait son centre dans le Marché commun, et qui aurait pour conséquence de poser les bases d'une politique réactionnaire, ne nous semble pas fondé ... » Mais ce qui, pour De Martino, est la partie la plus faible et la plus caduque du rapport Togliatti, c'est « la conception d'un monde divisé en deux blocs presque impénétrables, celui du socialisme et de la paix, celui de l'impérialisme et de la guerre ... C'est la partie la plus en contradiction avec la tendance fondamentale de la politique soviétique qui a réussi à se libérer dans une large mesure de cette opposition fanatique... La base de la politique de détente est précisément que, des deux côtés, on admet la possibilité d'une atténuation des contrastes entre les deux blocs, et en dernière analyse de leur dépassement... Si les communistes d'Occident restent liés à la conception selon laquelle l'Occident est dominé par l'impérialisme américain, et que celui- ci est fauteur de guerre, alors, la thèse chinoise est juste, et l'on ne comprend pas que l'on pense la réfuter par des conférences et autres moyens semblables. » De même si l'on considère parallèlement que le monde communiste est immobile, les perspectives ne peuvent être que « catastrophiques ». Cette conception des blocs rigides appartient au passé. L'Église catholique ne renonce pas à l'œcuménisme de Jean XXIII, la démocratie américaine n'abandonne pas l'orientation fondamentale de Kennedy, l'Europe traverse une crise que l'OTAN ne peut pas résoudre, et l'URSS recherche un équilibre de paix avec l'Occident et de meilleures relations politiques et commerciales, dont elle a besoin pour son propre développement. On est loin du tableau pessimiste de Togliatti sur lequel repose toute son argumentation. 3. - LES CÔTÉS POSITIFS DU DOCUMENT Citant quelques-uns des points que nous avons analysés, mais sans s'y attarder, De Martino insiste sur les questions suivantes : a) Critique des méthodes soviétiques : « Le passage le plus important est constitué par la critique du retard avec lequel en URSS et dans les autres pays communistes on procède au « dépassement du régime de limitation et de suppression des libertés démocratiques et personnelles, instauré sous Staline »; ... les observations sur la survie de méthodes apologétiques, visant à montrer que tout va bien, nous semblent aussi positives, même s'il faut reconnaître qu'en général la technique de propagande des communistes italiens n'a pas beaucoup changé ... » b) Critique des explications officielles du stalinisme données en URSS. c) Critique de la Fédération syndicale mondiale (F.S.M.) : « Très pertinentes sont les critiques de la F.S.M., accusée de ne faire qu'une propagande générale et de n'avoir aucune action politique en direction du mouvement syndical des autres pays non communistes, ce qui précisément ne peut que nous induire à persister dans l'exigence posée par le courant socialiste dans la C.G.I.L. 16 d'un retrait d'une organisation, qui agit dans une aire qui nous est absolument étrangère et qui a des problèmes et une finalité totalement différents de ceux du mouvement syndical italien ». d) « De même, l'affirmation que l'on peut opposer à la programmation capitaliste ou imposée d'en haut une programmation démocratique, qui puisse permettre un passage graduel au socialisme », est la reconnaissance du bien-fondé de l'un des thèmes essentiels avancés par le P.S.I. De Martino conclut en exprimant le vœu que ce texte marque le début de l'abandon de l'« orgueilleuse certitude » qu'ont les communistes de posséder la vérité ; et de toute « prétention hégémonique de parti », conditions pour que soit repris un dialogue tant avec· les socialistes qu'avec d'autres forces politiques. 1. France-Observateur, 10-9-1964. 2. Interviews à la revue Nuovi Argomenti, n° 20, mai-juin 1956, et rapport au Comité Central du P.C.I. du 24 juin 1956. 3. D'après le texte italien, Editions Riuniti, 1956, p. 86. 4. Idem p. 40. 5. Thème que l'on retrouvait déjà dans le texte de 1956. 6. Cf. texte de 1956, p.76. 7. Togliatti rappelait d'ailleurs en 1956 les divergences entre les premières analyses de Marx et d'Engels et l'interprétation léniniste, qui n'a développé que les analyses postérieures à la Commune de Paris (idem, p. 108). 8. Rapport au Congrès, pp. 6-7. 9. M. Togliatti remarque même que l'unité avec les « Chinois » de son propre parti se fait très facilement sur « le terrain concret des problèmes de notre politique courante », et il cite : « lutte contre le gouvernement, critique du parti socialiste ... ». Voilà ce que deviennent dans la pratique les grandes affirmations sur la « transformation progressive de l'Etat de l'intérieur » : pour y arriver, on occupe les cellules du P.C.l. à faire leur unité interne sur le dos de ceux qui se battent pour cette « transformation », C'est-à-dire les socialistes du P.S.l. et le gouvernement de centre-gauche  ! 10. Voir en particulier A. Kriegel. Le Congrès de Tours (Julliard,1973). 11. p. 165. 12. Cf. Rinascita, 31-8-1963, Paese Sera, 18-11-63, etc. 13. La position de Martinet, dans le passage cité, relève d'ailleurs de la même ambiguïté. 14. On pourrait ajouter que, rejetant une interprétation de la religion, Togliatti n'a jamais rien mis à la place : ni une autre analyse du fait religieux, ni une affirmation de « laïcité » du domaine politique. 15. Récemment encore, au Comité central du P.C.l. du 8 octobre, M. Longo a repris une critique d'ensemble de la Démocratie chrétienne l'accusant de mener une politique conservatrice ; il a même étendu sa critique à la gauche de la D.C. « incapable de se libérer de l'anticommunisme ». Parallèlement, il a rappelé la nécessité d'un dialogue avec les catholiques, et la possibilité de mener ce dialogue ... sans que la D.C. renonce en rien à ses conceptions philosophiques. 16. Confédération Générale Italienne des Travailleurs, équivalent de la C.G.T., et comme elle adhérente à la Fédération Syndicale Mondiale. 4. - APRÈS LES ÉLECTIONS ITALIENNES (Perspectives Socialistes, n° 79-80, décembre 1964, pp. 47-50) Les élections municipales et provinciales 1 se sont déroulées en Italie les 22 et 23 novembre 1964. Il s'agissait d'élire les Conseils municipaux et provinciaux. La participation électorale a été forte : 90,1 % (90 % en 1960). Intervenant environ un an après la mise en place du gouvernement de centre-gauche 2, ces élections ont confirmé un double fait : d'une part, si on exclut le retour à une majorité « centriste  » avec les libéraux (droite patronale) et sans les socialistes, il n'y a pas aujourd'hui d'autre majorité possible que l'actuelle majorité de centre-gauche, il n'y a pas en particulier d'autre majorité disponible' pour une politique de progrès social et démocratique. D'autre part, les élections ont rappelé les difficultés auxquelles se heurte encore le centre-gauche, et le dynamisme réformateur dont il doit maintenant faire preuve s'il veut étendre plus nettement sa base populaire. LE CONTEXTE DE L'ÉLECTION Ces élections se présentaient d'abord dans un contexte économique et social assez défavorable à la coalition gouvernementale : les difficultés économiques de l'Italie sont loin d'être toutes écartées, quels que soient les progrès réalisés depuis un an ; par ailleurs, les réformes en cours n'ont pas encore eu le temps de modifier substantiellement la réalité sociale du pays, et de conquérir les masses populaires intéressées, mais elles ont été déjà suffisamment avancées pour provoquer un durcissement de la « droite économique ». De plus, les difficultés internes rencontrées par la coalition de centre-gauche (querelles intestines de la Démocratie-Chrétienne; déceptions. à la suite du dernier congrès D.C. ; scission du P.S,I. en décembre 1963, etc.) ont offert une cible facile à toutes les oppositions. d'un côté les libéraux ont poursuivi leur campagne d'affolement de l'opinion publique, annonçant la crise économique et le chômage prochains et agitant le spectre du communisme triomphant. De l'autre, les communistes ont utilisé à fond la C.G.I.L. (malgré l'opposition des syndicalistes socialistes, qui se sont ralliés aux grèves par discipline syndicale, mais qui ont dit publiquement leur désaccord) pour provoquer dans toutes les corporations des mouvements de grève spectaculaires, même lorsque les autres centrales syndicales se refusaient à suivre, et même lorsque des formes du statut des travailleurs étaient en cours de discussion avec le gouvernement. Dans cette situation, ce sont les socialistes qui ont été l'objet des attaques les plus dures. En particulier toute la campagne des communistes et du P.S.I.U.P. a été dirigée contre le P.S.I., mis dans le même sac que les fascistes et les réactionnaires par la propagande communiste. Il est vrai que les socialistes ne se sont pas privés d'évoquer les problèmes internes du mouvement communiste, après la « démission » de Krouchtchev, la bombe chinoise, et la publication du  « testament » de Togliatti. Il faut reconnaître qu'ils l'ont fait en maintenant le débat sur le terrain d'une discussion idéologique et politique de fond, sur les perspectives du socialisme en Italie ; les communistes n'ont reculé devant aucune polémique, aucune calomnie, aucun mensonge même 3. LES RESULTATS DES ELECTIONS a) Le durcissement de la droite patronale contre la politique de réforme de structures. Si les monarchistes semblent en voie de disparition, et si les néo-fascistes plafonnent, le parti libéral a, par contre, légèrement progressé. On attribue généralement son avancée de 0,9 % à un déplacement de voix de la droite démo-chrétienne hostile à la collaboration avec les socialistes ; mais elle traduit surtout l'hostilité accrue à la politique actuelle de réformes de structures. C'est le plus souvent là où des réalisations précises sont à l'actif de la majorité que le P.L.I. a progressé. L'exemple le plus typique est celui de Milan, où une municipalité de centre gauche est en place. Les résultats sont les suivants  : voir schéma ci-contre. La majorité, qui disposait jusque-là de 50 sièges sur 80, n'en a plus que 40. Les libéraux qui progressent de 2,5 % depuis 1963, ont gagné, depuis 1960, 15 % des voix et 11 sièges. On ne peut pas ne pas rapprocher ce fait de la lutte menée par la municipalité de centre-gauche contre la spéculation foncière : pour la première fois, Milan applique actuellement une loi de 1963, selon laquelle les propriétaires sont tenus de payer un impôt spécial qui s'élève de 8 à 15 % de la plus-value réalisée depuis 1953 sur les terrains à bâtir. Cette mesure, qui a déjà permis de fixer plus de 100 milliards d'impôts, touche environ 10.000 propriétaires. Inutile de se demander longtemps pourquoi les possédants de Milan ont manifesté leur hostilité à la formule de centre-gauche en votant libéral ! b) La scission socialiste de 1963 : efficacité politique nulle, entrave au progrès du centre-gauche. Le P.S.I.U.P. 4 attendait de ces élections la preuve qu'il y avait un « espace politique » sur la scène italienne. Or, il n'a obtenu que 2,9 % des voix, arrachées au P.S.I., faisant passer celui-ci de 14,2 % à 11,3%. De plus, le P.S.I.U.P. n'a retrouvé ni la totalité des voix ni la totalité des sièges qu'il se vantait il y a six mois d'avoir enlevés au P.S.I. On estimait à un quart l'hémorragie d'adhérents ; le P.S.I.U.P. ne retrouve qu'un cinquièm e de l'électorat socialiste. La scission avait été une scission de sommet, suivie par un certain nombre de cadres et d'élus ; aujourd'hui le P.S.I.U.P. est loin d'avoir fait réélire tous les conseillers municipaux et provinciaux qui l'avaient suivi en 1963 ; même dans les Fédérations où il avait obtenu une majorité dans les Conseils fédéraux, il n'a pas pu déplacer l'électorat socialiste. C'est le cas à Turin : le P.S.I.U.P. avait entraîné cinq des douze conseillers P.S.I. ; il en a fait élire un avec 13.995 voix. alors que le P.S,I. en retrouve neuf avec 80.467 voix. C'est aussi le cas des Fédérations du sud et des îles où le P.S.I.U.P. avait cependant obtenu l'appui d'une bonne partie des cadres fédéraux. Les statisticiens électoraux calculent que, sur la base de ces élections, le P.S.I.U.P. n'aurait fait réélire que douze députés et six sénateurs sur les vingt- six députés et  douze sénateurs qui ont quitté le P.S.I., il y a un an. Ainsi, comme toutes les scissions socialistes italiennes, celle-ci a provoqué un affaiblissement électoral du mouvement ; son efficacité politique aura été toute négative : retarder la réalisation d'une politique de réformes de structures. L'exemple de Milan est là encore caractéristique: le centre-gauche ne dispose plus que de quarante conseillers sur quatre-vingts ; il n'a plus de majorité ; mais il n'y en a pas d'autre possible :  P.S.I.U.P. + P.C.L = 19 sur 80 ;                                                     P.L.I. + M.S.I. = 21 sur 80. • L'unique conseiller du P.S.I.U.P. a donc le choix entre deux formules: ou bien appuyer une formule de centre-gauche, ou bien laisser nommer un « Commissaire » du gouvernement, comme cela est prévu lorsqu'un Conseil municipal ne dégage en son sein aucune majorité pour élire le maire et les adjoints. Dans le premier cas, c'est la démonstration de l'absurdité de la scission ; dans l'autre, c'est l'appui à la formule la moins démocratique et progressiste de gestion démocratique. 1. L'Italie est divisée en « régions  » (au nombre de 19 en 1964 : Piémont, Lombardie, Toscane, Sicile, par exemple); chaque région est divisée en «  provinces  » (au nombre de 92 en 1964) qui correspondent à peu près aux départements français. Le vote concernait 74 provinces et 6.727 communes  sur 8.027.   2. Gouvernement quadripartite comprenant la D.C., le P.R.I., le P.S.D.I., et le Italien P.S.I.. Voir  plus haut Perspectives Socialistes n° 75 .   3. Le Nouvel Observateur du 26 novembre rend compte de ce fait par la phrase suivante : « Le P.S.I. tombe à 11,4 % des votants après une campagne  électorale au cours de laquelle il a concentré toutes ses attaques sur les communistes  » ... et plus loin il parle d'une « propagande anticommuniste  rappelant la période de guerre froide  ». De la basse polémique communiste contre les socialistes, pas un mot. Pourquoi ?   4. Parti Socialiste Italien d'Unité Prolétarienne, fraction du P,S.I. qui a fait scission en 1963. suite au congrès socialiste qui décida la participation au  gouvernement de centre-gauche.     Page suivante : APRES LES ELECTIONS